Sophia Antipolis, de Virgil Vernier

Explorateur des mondes invisibles, VV s’intéresse à la technopole du pays des cigales, non loin de Cannes et d’Antibes. Mais loin de décrire l’immense ruche d’entreprises ou les recherches en nouvelles technologies, il s’emploie, comme d’habitude, à dresser le portrait d’une population à la marge.

A l’aide d’instantanés de vie quotidienne, trois personnages principaux nous sont présentés. Une veuve qui vit seul dans l’ennui d’un modeste appartement, un jeune vigile qui s’interroge sur son avenir et une étudiante qui erre sur les lieux d’un crime.

L’histoire du vigile est sans doute la plus spectaculaire car il nous projette dans une violence qui paraît paradoxale dans un lieu où règne le secteur tertiaire. Si la cité aux milles bureaux est animée la journée, il ne s’y passe quasiment plus rien la nuit. Une équipe de veilleurs part en maraude nocturne pour déloger le moindre squatteur. Un jour, un collègue propose au jeune homme d’intégrer une milice privée pour arrondir ses fins de mois. On découvre alors une équipe bien organisée, spécialisée en auto-défense, mais qui se comporte comme des voyous dans Scarface. Mais qu’importe les dérives. Le cinéaste s’attache à décrire minutieusement ses personnages et leur intimité, déclenchant ainsi l’empathie du spectateur.

La signature de Virgil Vernier est bien présente. On y retrouve en effet les figures obsessionnelles du réalisateur : les injonctions esthétiques imposées aux jeunes femmes, les deux amies errantes, l’astre solaire, la mélancolie omniprésente. Et comme dans ses films précédents, le fantastique et la science-fiction sont présents de manière latente. Lorsque la veuve se rend à une réunion sur la spiritualité, elle y croise un hypnotiseur bizarre. Les deux nouvelles amies échangent un discours sur les étoiles. Un monologue égraine des situations de désastres, réelles ou imaginaires.

L’image est particulièrement granuleuse, car le film a été tourné en 16 mm, ce qui lui confère un look des années 70. Sophia Antipolis étant née à la fin des années 60, cette esthétique convient  particulièrement bien à l’architecture vieillotte mais moderne, anciennement futuriste, porteuse de grands rêves. L’environnement est en opposition avec les personnages du film, qui ont une vie aux antipodes de ces architectures pharaoniques. C’est ce qui donne au film son caractère décalé, comme une errance dans un monde inconnu.

On serait tenté de vouloir déterminer ce qui est vrai ou pas mais finalement l’ambiguïté reste la grande force du film. La frontière entre le réel et l’imaginaire est extrêmement ténue. Les acteurs ne sont pas des professionnels. Ces portraits, qui se présentent au début comme des documentaires, finissent par s’inscrire de manière surprenante, dans une trame de thriller policier .

Virgil Vernier continue son œuvre de recherche. Articulé autour du feu, élément évoquant la proche destruction, Sophia Antipolis évoque beaucoup de sujets : la précarité, la solitude, les inégalités sociales, la collapsologie, la recherche de spiritualité. Il détricote un quotidien banal pour nous servir un cinéma pointilliste dont les filigranes forment une œuvre étrange et hypnotisante.

2 commentaires sur “Sophia Antipolis, de Virgil Vernier”
  1. Voilà un film dont le titre et la bande annonce m’ont plutôt intrigué. Le film ne décrit peut-être pas le technopôle mais les paysages ont tout de même l’air de dire quelque chose sous ce grain du 16mm. Je ne connais pas le réalisateur mais ce que tu dis là ne retire rien à ma curiosité.

  2. Quelle purge ce film. Plus vide que les bureaux d’Air France à Sophia à 3h00 du mat’.

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