Lucky Day, de Roger Avary

Le retour inespéré de Roger Avary derrière la caméra se devait être un petit événement. Rappelons qu’il fut dialoguiste sur Reservoir dogs et co-scénariste de Pulp Fiction, et surtout l’auteur d’un des grands films des années 90, le nihiliste Killing Zoé, polar qui mêlait les influences de la nouvelle vague avec un goût prononcé pour le bis déjanté. Puis il réalisa un téléfilm avec Rutger Hauer et une adaptation du roman culte de Bret Easton Ellis : Les lois de l’attraction en 2002. Après un film inédit en France, en 2004, Glitterati, Roger Avary a disparu de la circulation. Brouillé depuis des années avec Tarantino, le voir revenir avec un petit film toujours produit par Samuel Hadida, décédé l’an dernier, ravive des souvenirs émouvants, d’autant qu’on a l’impression que le temps ne s’est pas arrêté pour celui qui fut l’un des grands espoirs du cinéma américain.

La culture française

Lucky day paraît coincé dans une époque, un style, ce qui en fait à la fois son charme et sa limite. Le scénario, plutôt paresseux sur le papier, ne cherche pas à faire le malin; il déroule les thèmes et obsessions du cinéaste. L’histoire en soi ne présente guère d’intérêt et ne dépareille pas d’une banale série B.

Red se prépare pour son grand jour : il sort de prison, après une purge de deux ans pour un braquage qui a coûté la vie à son complice. Il retrouve sa petite famille, sa fille Béatrice et sa femme Chloé. Celle-ci prépare une expo d’art contemporain : des peintures de briques blanches, créations cathartiques pour celle qui aimerait que son homme rentre dans le droit chemin.

Mais c’est sans compter Luc, le frère de son ancien complice, psychopathe notoire, tueur à gages sans pitié, et accessoirement admirateur de la France, au point d’adopter un accent anglais en se prenant pour un français. ll débarque aux Etats-Unis avec le désir de venger son frère, tenant Red pour l’unique responsable. Sur son passage, cet ange de la mort, au look cartoonesque, ne fait pas dans la demi-mesure, il dézingue sans état d’âme tous les pauvres innocents ou pas, qui croisent sa route.

Si l’intrigue tient en trois lignes, le charme opère ne serait-ce que par la manière dont Avary raconte cette histoire, dans un esprit très pulp, tout en poursuivant son étrange fascination pour la langue et la culture française à l’image de la fille de Red, qui refuse l’anglais pour ne parler que dans la langue de Molière ce qui nous vaut des séquences exquises, à contre courant du cinéma actuel. La présence au générique de Tomer Sisley qui arbore une petite moustache hitlérienne et de Nadia Farès renforce cette impression. Cet hommage bienveillant n’a rien de gratuit, tant l’univers de Roger Avary est imprégné par une admiration pour la Nouvelle Vague, et en premier lieu Jean-Luc Godard avec qui il partage le goût des dialogues absurdes et littéraires, les ruptures de ton, les digressions intellectuelles et les motifs visuels hérités du pop art. Mais dans une forme très abordable, modeste et habile.

Sans être un chef d’œuvre, Lucky day est un sympathique polar décalé, très grindhouse, versant dans le gore à plusieurs reprises, égratignant le monde de l’art contemporain avec une malice qui n’a rien de rance : la très belle séquence du carnage dans le musée où le sang gicle sur les toiles immaculées demeure un beau moment de cinéma, et une jolie métaphore sur la création qui arrive par accident.

La prestation de Crispin Gover, comédien culte sous-estimé, surtout connu pour jouer le père de Marty dans Retour vers le futur, est impressionnante. Il est l’attraction de ce petit film vintage et sans prétention, peuplé de personnages cocasses, tous très bien interprétés. Nina Dobrev, craquante comme tout, a des airs de Chantal Goya dans Masculin Féminin revu et corrigé par l’univers de Scoubidou. Tandis que dans un petit rôle hilarant, on note la présence de Mark Dacascos, comédien fétiche de Christophe Gans et pilier des DTV d’action des années 90.

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