Alien : Covenant, le navet jaune

Le navet violet, tout le monde le déteste. Mais le navet boule d’or, c’est autre chose. Il brille comme le métal précieux et son goût est bien plus raffiné. Cet article contient quelques spoilers.

On a pu voir ça et là l’intelligentsia ès franchise Alien s’adonner à critiquer facilement le film de Ridley Scott. C’est aller un peu vite en besogne si l’on connaît la méticulosité du réalisateur pour ne pas faire de la merde. Le mec est un sage de quatre-vingt piges quand même. Il se passionne pour ceux qui écrivent l’Histoire dans le sang. Chacun de ses films illustre une utilisation néfaste du pouvoir à grande échelle. Il se sert aussi de la SF comme on s’en est toujours servi : pour tenter de répondre aux grands questionnements. A travers ces nouveaux opus de la saga Alien, il émet une hypothèse quant à l’origine de l’homme.

Le prologue du film annonce clairement l’intention de Ridley Scott : il ne sera pas tant question de monstre extra-terrestre que de philosophie. Il s’agit d’un dialogue entre Peter Weyland (le créateur richissime) et David (sa créature). Très vite, l’androïde qui est censé servir le maître sans poser de questions, se met à poser plein de questions dérangeantes sur un mode passif-agressif que l’acteur Michael Fassbender maîtrise à merveille. David choisit et interprète au pinao l’entrée de Dieux dans le Valhalla pour illustrer son talent. Weyland lui dit que c’est un peu faible sans le reste de l’orchestre. La fin du film se clôt sur le même morceau de Wagner mais avec l’orchestre cette fois-ci, transforme les timides débuts de David en triomphe grandiloquent. De créature, David est passé au statut de Dieu. Il ne faut pas oublier que le David ici-présent est l’androïde de Prometheus. Ce dialogue serait donc à replacer avant l’intrigue du film précédent.

Mais ok, Alien : Covenant est aussi un film de série B avec ses moments gores excessifs. C’est tellement grotesque que ça pourrait faire rire mais c’est aussi tellement dégueu qu’on hésite.

drôle ou pas drôle ?

On pourra aussi reprocher au film ses effets spéciaux inégaux. Ce n’est pas tant la qualité qui dérange mais l’incongruité des choix esthétiques, notamment pour certaines créatures. On a donc un alien adulte qui ressemble à un costume en latex et un bébé alien tellement plein de détails en CGI qu’il se détache littéralement du décor, réduisant notre “propension à croire” à néant.

Tout cela vient de la manière qu’a Ridley Scott de travailler : en équipe. Contrairement à la France où le réalisateur écrit souvent le scénario, les USA font un partage du travail cinématographique. On a donc deux scénaristes (John Logan et Dante Harper). Ridley, c’est pas un Napoléon du ciné, il partage, il prend des idées et laisse participer toute son équipe. D’où sans doute un côté parfois bric-à-brac. On sent bien aussi que Ridley n’en a plus grand chose à faire du monstre, qui passe au second plan. Toute son attention se centre sur les androïdes que sont Walter et David. En toute discrétion Papy Scott élève le débat sur les IA. Plus on avance dans le temps de la saga Alien, moins les androïdes sont puissants et intelligents. On va donc un peu au-delà du classique “robot qui devient conscient et finit par détruire l’homme”, postulat de nombreux films de SF dont Terminator 2 est l’exemple basique.

Et l’idée puissante et originale de cet Alien : Covenant, c’est que nos créateurs ont été exterminés par notre créature.

Créateur, créature, création, il n’y a qu’un pas qui nous mène à l’art. Ridley Scott s’empresse de le franchir et n’arrête pas de parler d’art et de création dans un film qui devrait se contenter de tuer son casting avec des mâchoires bondissantes. Il parsème ainsi son film de références artistiques plus ou moins obscures.

Alien : Covenant devient subtilement un film méta. Les créatures qu’a fabriquées David sont imparfaites. Il a des idées et son laboratoire est le moyen de les mettre en œuvre. Il essaie donc des choses, voyant ce que ça donne, avec plus ou moins de succès. Et bien, c’est exactement ce que fait Ridley Scott et c’est sans doute son point de vue de réalisateur. Quelqu’un qui essaie, qui se plante parfois, mais dont la création monstrueuse peut être parfois de toute beauté. Et justement la direction artistique est ici bluffante. Les décors ne sont pas mis en avant, on ne les remarque presque pas et pourtant ils donnent cette atmosphère bizarre au film, l’impression d’être sur une authentique planète extra-terrestre.

Le film s’ouvre sur le gros plan d’un œil, celui de David, interprété par Michael Fassbender. L’acteur accomplit un travail colossal. Il doit jouer non pas un androïde mais deux. Et malgré leur apparence physique similaire, leur programmation n’est pas du tout la même.

Un œil en forme de clin d’œil à lui-même :

Et oui, car ça rappelle pas mal l’ouverture de Blade Runner :

Même réalisateur et une histoire d’androïdes qui prennent conscience de leurs limites. Tiens, tiens, tiens, tiens, tiens.

En bon esthète, Ridley Scott caresse l’œil du spectateur dans le sens du cil, en nous procurant des plans parfois très furtifs mais qui marquent par leur composition et leur symbolisme :

Les choses se corsent lors que l’équipe d’exploration retrouvent le doppelganger de Kurt Cobain :

Il y a aussi une lumière complètement différente entre la planète (froide, pluvieuse), l’intérieur des vaisseaux spatiaux (couleurs métallique, laser et néons) et le repaire de David, rempli de couleurs chaudes et d’éclairages tamisés. L’endroit apparaît comme un refuge genre maison troglodyte bien cosy. C’est bien sûr un piège.

L’antre de David fait preuve d’une architecture surprenante mais le montage fait que l’on ne voit jamais les lieux dans leur intégralité. Un petit bout s’inspire du célèbre tableau l’île des morts de Böcklin.

Ce sont uniquement des couples qui composent l’équipage du Covenant. Ce n’est pas idiot car l’objectif est d’établir une colonie sur une planète lointaine. Les personnages sont assez peu intéressants et servent surtout de chair à Alien. Il y a même un couple gay mais il faut être vraiment très attentif pour le voir car le scénario met cela très en retrait.

A peine débarqués sur une planète étrangères, les mecs fument cigare et cigarettes. L’équipage manque cruellement de précautions de base. Bon, ça fait une certaine cohérence avec Prometheus où les cartographes s’égaraient. Est-ce que si on vous disait de regarder dans un œuf monstrueux une créature visqueuse, vous le feriez ? Eh ben eux, oui, ils plongent leur nez dedans comme si c’était un kinder surprise.

Même Katherine Waterston, qui interprète la Ripley du moment (tout comme Noomi Rapace pour Prometheus) semble à peine intéresser le réalisateur. Une énième fois, on a droit à un personnage de jeune femme badass. ll serait peut-être temps de changer de version et de passer en 2.0. Je ne suis pas fan de l’actrice et dans tous les films où je l’ai vue elle pleure à chaudes larmes. Ici aussi, elle passe son temps à pleurer jusqu’à un moment où elle prend le statut de leader sans que rien ne l’explique…

Le personnage secondaire le plus intéressant est celui d’Oram, qui doit commander la mission à la place du commandant prématurément décédé. Oram respecte le règlement à la lettre, quitte à ne pas faire preuve d’humanité et d’empathie. Il est modéré par Karine, son épouse mais reste maladroit et récite des mantras de motivation tous faits. Mais le plus étrange c’est qu’il se sent persécuté car c’est un “homme de foi”. Malheureusement, les croyances religieuses, bien présentes dans Prometheus et liées au questionnement de nos origines, sont ici abandonnées rapidement pour faire place à l’action et au gore.

La scène qui m’a le plus marqué dans le film est celle où David apprend à Walter à jouer de la flûte.

“Siffle et je viendrai” commence par dire David, surprenant Walter qui explore les environs. Cette citation est en fait le titre d’une nouvelle. L’histoire, écrite par Anthone Migues James, est celle d’un archéologue qui trouve un sifflet dans des ruines. L’instrument lui permet d’appeler une créature. Tiens, tiens, tiens. Tiens, tiens. Et ensuite on continue : “fog with little cat feet” provient d’un poème de Carl Sandburg qui compare le brouillard à un chat. On ne l’entend pas venir. Un prédateur silencieux similaire à l’alien dans la forme du premier film Alien le 8ème passager. D’ailleurs le monstre ne s’attaquait pas au chat Jonesy, possiblement reconnu comme un pair. La menace peut être féline mais elle peut être aussi brouillard car dans Alien : Covenant, l’infection se fait par le biais de spores inhalés, représenté comme un nuage microscopique qui s’insinue dans les oreilles ou le nez.

David et Walter apprennent à se connaître. David a la possibilité de créer, il ressent de la pitié et du dégoût. Il est très humain. Walter lui explique froidement que David est trop humain, que ça le met mal à l’aise.

On dirait en fait une vraie scène de drague à la fois homosexuelle et incestueuse puisque David considère Walter comme son frère. Evidemment, cette interprétation n’a aucun sens puisque les deux sont des êtres artificiels, théoriquement dénués d’émotion et de sentiment et même de sexualité. Cependant, les dialogues sont troublants :

Ça continue ensuite : “ne sois pas timide”, “Appuie tes lèvres pour créer une embouchure de la taille du bout de ton petit doigt”, “Puis souffle doucement dans le trou”, “Watch me, I’ll do the fingering”, “Mets tes doigts là où sont les miens”, etc.

Après cet étrange ventre mou où David et Walter dissertent sur leur condition et l’existence, on repasse en mode blockbuster pour une scène d’action sur une plate-forme volante. Ça ne va pas du tout car tout à coup on passe à un rythme cent fois supérieur comme s’il fallait se dépêcher de terminer le film sur plusieurs moments de bravoure. Ridley Scott continue de nous bombarder de belles images mais il faut dire que la magie s’est barrée.

Dans les dernières scènes, Ridley Scott reprend tranquillement le fil de sa réflexion grâce à un twist particulièrement machiavélique. Privant le public d’un happy end consensuel, c’est le personnage préféré du réalisateur qui gagne à la fin.

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