Pablo et sa soeur Apolline de dix-sept ans sont fans du jeu vidéo Darknoon, un monde ouvert multijoueur d’heroic fantasy. Mais les participants sont prévenus : le jeu va bientôt prendre fin. Pablo vit du trafic de drogue. Il rencontre Night, un jeune homme dont il tombe amoureux. Il délaisse progressivement Apolline et le jeu vidéo pour profiter du temps avec Night.
Caroline Poggi et Jonathan Vinel poursuivent l’exploration de l’univers de millenials, nés entre les années 80 et le milieu des années 90. On y découvre le besoin de nouveaux horizons, peu importe s’ils sont virtuels, pour dépasser la triste et banale maison familiale de quartie résidentiel. Moins expérimental que leur dernier long-métrage, Jessica Forever (2019), Eat the night est sans doute plus accessible mais moins radical.
Le duo avait déjà créé des courts-métrages en détournant des jeux vidéos comme GTA V. Cette fois-ci, ils poussent plus loin le concept en créant un jeu spécifiquement pour le film, une belle prouesse technique. Visuellement, Darknoon ressemble à de vrais grands jeux comme Elden Ring. Graphiquement, on retrouve donc des éléments classiques : inspirations médiévales, combats ultra-sanglants mais sans réalisme, personnages au physique musclé et tenues sexy.
Le couple de réalisateurs parvient à faire comprendre aux néophytes ce que l’on peut trouver de beau et de fascinant dans un jeu vidéo. Le montage fait des allers-retours entre réel et virtuel, soulignant les contrastes. Le quotidien est déprimant, Apolline va dans un lycée austère, Pablo deale dans une zone commerciale au milieu de barres d’immeubles. Le jeu est quant à lui coloré voire saturé de couleurs criardes et compile tout ce qui se fait habituellement en matière de mondes imaginaires.
Le film réussit bien sa dimension intimiste. Alors que le frère et la soeur partagent une relation quasi-fusionnelle, la situation se trouble lorsque Pablo ramène son petit ami à la maison. L’histoire d’amour gay est abordée de manière frontale, ce qui n’est pas si commun. On devine que l’histoire familiale est compliquée. Le personnage du père est d’ailleurs terrible. On ne le voit que le temps de quelques plans. Mutique, son rôle se bornera à casser le nouvel ordinateur d’Apolline dans un accès de colère.
Lorsque Pablo se fait arrêter par la police, Apolline est plus ou moins obligée de collaborer avec Night. Elle se rapproche de lui via le jeu. La frontière entre le réel et le virtuel devient poreuse, car le jeu n’est finalement plus qu’un prétexte pour apprendre à se connaître. Apolline voit son visage en 3D évoluer et ressembler avec le réel, enfin, quelque part dans la « uncanny valley ».
Face à un monde qui ne répond en rien à leur besoin, les personnages sont en quête de refuges. L’espace intime des personnages est plus chaud, moins déprimant que les alentours. C’est le cas de la chambre d’Apolline, où les murs sont constellés de dessins naïfs inspirés par Darknoon. La maison dans les bois, où Pablo fabrique sa drogue est également une safe place où se trouvent de la musique et un NAC, un nouvel animal de compagnie.
J’ai été moins convaincu par la partie « polar ». Pablo doit faire face à une bande rivale de trafiquants qui ont a leur tête une sorte de Scarface local paranoïaque. L’intrigue est trop classique (un conflit sur une zone de deal) mais il s’agit là de faire surgir la violence réelle, en opposition à la violence du jeu, où l’on « respawn » quelques secondes plus tard. Paradoxalement, la mise en scène de la violence « réelle » s’inspire plus des films de gangsters que de la réalité. Mais après tout, nous ne sommes pas non plus dans un documentaire.
Même si le virtuel peut faire office de refuge, ce n’est que temporaire et illusoire. Darknoon a également une fin et l’échéance ne laisse finalement aucune porte de sortie aux protagonistes. Comme les oeuvres précédentes de Poggi/Vinel, Eat the night dépeint les errances d’une génération désenchantée et reste profondément mélancolique.