L’étrange festival de Strasbourg, 13ème édition

JOUR 5

Musique savante, beaux-arts et soucis de tuyauterie

Je me doutais bien, hier, que je ne devais pas écrire un truc aussi définitif que “le segment le plus Etrange de ce Festival”. Outre Les Aventures du Prince Ahmed – film d’animation des années 20 auquel j’ai préféré envoyer ma nièce en reportage, histoire de souffler deux heures – la clôture a copieusement tapé mon crâne déjà déformé par quatre jours de dérivétranges. Et si je devais décerner un prix du truc le plus zarbi, Where Evil Dwells serait ex aequo avec…

In Abstentia petit film des frères Quay, aux limites de mes frontières du tolérable en matière d’expérience visuelle. On ne sait pas bien s’il s’agit d’un clip pour la musique de Stockhausen, ou d’une collaboration entre la fratrie US et le compositeur teuton, toujours est-il qu’images grinçantes et sons floutés s’abouchent à la perfection. C’est pas net, souvent abstrait. On croit reconnaître des choses : une marionnette, un taille-crayon, des mines de graphites, et puis des doigts, trop nombreux, qui gribouillent le papier. Illustration d’un vrai cas de psychose graphomane, le film est dédié à la folle qui l’inspira. On taquine si ouvertement l’art vidéo que le logo BBC dans le générique surprend un peu. Tant mieux.

On reste dans le très arty avec le premier round de long. Des trous dans la tête (aka Brand upon the brain) est un des tout derniers films du winnipeguien Guy Maddin. C’est un ami de la maison, semble-t-il, il parait que Didier l’aurait même interviewé pour le site (à fouiller).
Le héros, un certain Guy Maddin, est sommé par une mère mourante de retourner au phare-orphelinat dans lequel il a grandi pour y passer une “bonne couche de peinture”. Trente ans après, c’est l’heure du retour à l’île de l’enfance, et c’est en vain que Maddin tartinera les murs d’enduit blanc : les fantômes reviennent le hanter, racontant pour lui les drames qu’il a fuis. Son père, qui était un savant fou, sa mère, gorgone narcissique, son meilleur ami qui adorait Satan et puis sa soeur, sa soeur qui était, euh, amoureuse d’une héroïne de la Bibliothèque Rose, genre Fantômette, mais travestie en détective privé…
Des trous dans la tête est un métrage de plasticien, complètement inattendu dans sa forme, hommage tressautant à l’âge d’or du muet. Le noir et blanc tremblé, quelque part entre le vieux film de vacances en super-8 et l’expressionisme allemand, est entrelardé d’intertitres presque illisibles. Il n’y a pas de “vrai” son, juste une voix off narratrice, une musique presque constante et quelques bruitages. Le rêve de Maddin – déjà réalisé à deux reprises – est que tout soit produit en live lors des représentations, comme au bon vieux temps d’avant qu’il était mieux.
Plus qu’un simple exercice de nostalgie, le procédé vieillot et les tournures gothiques, style vieux film d’horreur, épaississent d’une brume de féerie malade un récit fortement biographique. Pour le coup, un des films les plus Etranges et les plus cohérents du Festival. TB.

Dernière séance. En ouverture, une brassée de courts :
Un dernier Ici l’ombre (belle découverte que ce programme, je le trisse – l’Ombre est un des ex-fondateurs du Festival, et à l’image de la manif : bavard, pointu, barré). Consacré au flicker, cette fois, il offre une courte expériences épileptogène : si vous tombez en tétanie c’est que c’était pas fait pour vous. Vous aurez au moins appris un truc.
Puis Blood Phobia Crisis, exercice formel visant à illustrer, par des jeux de textures et de couleurs, les sensations ressenties lors d’un malaise vagal. C’est un peu scolaire et pas très parlant. Revoyez plutôt Snip, histoire de ressentir ça par vous-mêmes.
Enfin Máquina, récit chicano-espagnol qui fait office d’amuse bouche au long à suivre. Une jeune fille, agressée chez elle, se fait opérer à l’arrache par un maniaque masqué. Non, ce n’était pas à ses reins qu’il en voulait, les radios sont formelles, elle aurait même gratté un petit quelque chose en plus. Un robot mixer dans le vagin, pour être précis. Les séquences intrucables, réalisées en animation façon Betty Boop, sont à peu près tout ce qui sauve cette bien triste histoire. Qui souffre par ailleurs de l’inévitable comparaison avec…

Teeth, de Mitchell Lichtenstein. Pour l’anecdote, il s’agit bien du fiston à Roy, le fameux pop-artist. On peut d’ailleurs distinguer une certaine parenté dans leur approche faussement consensuelle de la société de consommation. Bref.
Dawn est une jeune fille angélique, qui aime les poneys, les fleurs et sa maman. Après les cours, elle milite au sein d’une association chrétienne contre le sexe hors des liens du mariage. Sa pudibonderie, que raillent assez durement ses camarades de lycée, l’a empêché de découvrir plus tôt une étrange particularité dans son anatomie. Serait-ce lié à l’énorme centrale nucléaire qui avoisine le beau pavillon de banlieue dans lequel elle a toujours vécu ? Mystère. Toujours est-il que que Dawn souffre de vagina dentada, bizarrerie que confirmera à ses dépend le gynécologue chez qui elle finit par se rendre – après avec émasculé par mégarde un prétendant trop assidu.
Une dose de grotesque, une dose de tragicomédie assez fine (bon, faut pas trop pousser non plus, c’est quand même l’histoire d’un vagin bouffe-tout), et pas mal de satyre l’air de rien, qui tape un peu dans tous les coins : l’éducation sexuelle des ados, les maniaques du créationnisme, la censure au cinéma, etc. Puis, aux deux tiers du récit, voilà que Dawn apprend à contrôler ses pulsions, et que sa malédiction s’envisage désormais comme un outil et un atout. L’abominable mutation, de subie à assumée, transforme ce film freaky en manifeste féministe explicite. Inattendu et amusant, c’est un peu Virgin Suicide, en plus drôle et en moins chichiteux.

L’Etrange Prix du Public (ex-aequo) qui récompense un des courts métrages, a finalement été décerné à Intolérance (Phil Mulloy, de la balle, j’ai l’impression de me répéter mais ça servira peut-être à quelque chose) ainsi qu’à Absence de Kevin Lecomte.
Deux mots en rab’ sur ce film passé à J+2 : c’est effectivement un chouette court très court, qui tient sur une scène, deux acteurs, zéro dialogue. Le scénar est parfaitement construit, la photo belle et froide : bref ça marche et c’est pro. Impossible de savoir si Kevin tiendrait sur une distance plus longue, mais ce serait une bien bonne idée de lui en donner l’occase. A suivre.

On ferme. C’était crevant. C’était super. Reste qu’on ne sait pas si l’Etrange Festival reviendra l’an prochain. La version parisienne a passé la main cette année, pour la première fois depuis quinze ans. Et l’équipe de bénévoles de Strasbourg, à l’heure de la clôture, ne garantissait pas la pérennité de la mouture Grand Est. Ce qui serait dommage.

Moins posh que les manifs des musées d’art contemporain, plus classes que les soirées nanards entre potes, l’Etrange Festival est une occase unique de découvrir des kilos de trucs invisibles en vidéo, pour ne même pas parler de télé ou de cinoches en temps normaux.

Et puis une certaine magie opère, passé minuit, quand le dernier film est fini et qu’on s’enquille un énième truc bizarroïde, crachotant, bavotant, même pas dans un langage humain et présenté par un animateur tout ému : “alors voilà, c’est une copie de VHS rapportée hier par un pote albanais, on vient de terminer les sous-titres à l’arrache et de le passer en divX, nous en voulez pas trop si vous y laissez trois degrés de vision de loin, c’est l’histoire d’une infirmière cul-de-jatte qui devient reine de la crème pâtissière dans une Irlande fantasmée, c’est une comédie musicale en tamoul et le deuxième rôle est jouée par une ex-star de la nunsploitation, qui a fini monteuse de films de propagande communistes tournés clandestinement au Mexique…” Mieux que la Dernière Séance (même présentée par Schmol). Je prends le pari & reviens l’an prochain, quitte à faire le pied de grue devant la porte.

Léo

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