Sakura No Kage et Survival, de Guillaume Tauveron

sakura_no_kage_vc-33Entretien avec Guillaume Tauveron

D’où vient cet intérêt pour le Japon ?
Mon intérêt s’est construit petit à petit. Tout d’abord mon père a toujours été un grand fan de la culture asiatique en général, donc avec lui j’ai vu beaucoup de films, surtout des films de Kung-Fu (dont je ne suis pas très fan à l’heure actuelle), mais aussi des films comme Histoires de fantômes chinois ou même Karate Kid. Il me parlait aussi de la série Shogun (mais je n’avais le droit de la regarder car trop violente) et des samouraïs. Il m’a emmené avec lui au karaté et au yoga que j’ai pratiqué durant plusieurs années de mon enfance. Donc dès tout petit j’ai cohabité avec une influence asiatique assez forte. En plus de cela 2 dessins-animés sur 3 étaient japonais, et même si c’était souvent des univers délirants ils véhiculaient tout un tas d’informations sur le Japon (la nourriture, les architectures, les uniformes…). Donc c’est une des raisons pour lesquelles je pense que beaucoup de gens de ma génération se sentent proches du Japon car ils ont grandi avec des personnages baignant dans cette culture. Par la suite, l’arrivée des mangas en France (version papier) a ouvert une porte encore plus large sur les mœurs et coutumes du Japon au travers d’histoires particulièrement originales et fantastiques. Je recherchais des univers différents et des histoires exceptionnelles et pour ma part je les ai trouvé au travers des mangas. Mais le véritable déclic pour le Japon est venu en découvrant presque simultanément deux réalisateurs japonais qui sont parmi ceux qui ont eu le plus d’influence sur moi : Akira Kurosawa (Vivre, les 7 samouraïs…) et Takeshi Kitano (Hana-Bi, Sonatine). Ce sont les deux plus grandes claques cinématographiques que j’ai prises dans ma vie : l’humanisme mêlée à l’aventure pour Kurosawa, et le mélange violence-humour-poésie pour Kitano. En découvrant plus avant leur filmographie je suis tombé amoureux de la langue japonaise (car je ne regarde toujours les films qu’en V.O.), mais aussi de la culture, des paysages, et de ces visages si inexpressifs d’extérieur et qui explosent soudainement de sentiments. J’ai donc décidé d’apprendre le japonais afin de pouvoir un jour tourner des films au Japon.

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La cérémonie du thé, les portes coulissantes décorées de fresques, les courbettes. Est-ce vraiment répandu au Japon ou est-ce un cliché pour occidentaux?
Non, ce n’est pas un cliché pour occidentaux, c’est très répandu. La plupart des maisons occidentales ont toutes une pièce nommée nihonma (la pièce japonaise), avec tatamis et portes coulissantes. Et c’est aussi bien souvent dans cette pièce que se trouve l’autel pour prier les ancêtres. Et il existe encore beaucoup de maisons traditionnelles ne possédant que des portes coulissantes, comme celle où l’on a tourné et qui était la maison où vit actuellement un des acteurs du film. La cérémonie du thé se perd sûrement un peu mais elle est encore très présente, puisque j’ai plusieurs amies qui la pratiquent alors que ce sont des femmes qui travaillent et ne sont pas particulièrement attachées au traditionnel. Quant aux courbettes, elles sont nécessaires puisque les gens ne se serrent pas la main (et ne se font encore moins la bise) et sont le moyen de dire “bonjour”, “merci”, mais aussi “désolé”. Et plus le sentiment est grand, plus la courbette sera basse. Par exemple lors de mon dernier tournage au Japon, je tournais un clip pour le groupe Gadwin. J’attendais à 14h une actrice et son manager mais 1/2h plus tard ils n’étaient pas là. J’appelle donc sans pouvoir les joindre et laisse un message neutre faisant part de mon étonnement et de ma déception. Quelques minutes plus tard, j’ai reçu un mot me disant qu’ils s’étaient trompés d’heure (ils pensaient que c’était à 15h). Et quand ils sont arrivés ils se sont excusés en se courbant la tête très basse mais surtout en restant dans cette position durant au moins 10 secondes. J’étais mal à l’aise et je leur disais que ça allait, ils ont relevé la tête, puis se sont à nouveaux courbés en représentant leurs excuses et en restant ainsi encore 5 bonnes secondes. C’est une petite anecdote qui montre le sérieux des japonais vis-à-vis de l’honneur et qui prouvent qu’ils ont gardé certaines valeurs morales datant de plusieurs siècles. Donc ce n’est pas une idée reçue quand on dit que le Japon est un pays extrême mêlant grande technologique tout en sachant conserver ses valeurs propres.

Comment as-tu réussi à rendre aussi bien ces plans nocturnes ?
Pour ça il faudrait demander à mon compère Hiroshi Toda. Car j’ai écrit principalement le scénario. Comme je jouais le rôle principal c’est Hiroshi Toda qui s’occupait principalement de la caméra. Chaque soir on s’entretenait une ou deux heures sur le tournage du lendemain, sur ce qu’on allait faire, comment on allait le faire et ce que l’on recherchait. Donc à partir du moment où je savais que l’on cherchait à peu près la même chose je lui laissai gérer à sa manière. Mais ce qui avait été magnifique, notamment pour la scène nocturne où je retrouve Mikiko qui attend assise sur le pont, est que la scène était exactement telle que je l’avais imaginée alors que je n’avais pas donné tant de détails à Toda. Et pour en revenir à la question, eh bien disons que l’on s’est arrangé pour faire avec les lumières « naturelles » en plaçant les acteurs où il le fallait puisque l’on avait pas de matériel côté lumière.

Quelle caméra as-tu utilisé ?
Une Sony Z1 pour le tournage au Japon et une petite HC3 pour le tournage en France. Les deux caméras appartenaient à Toda et il m’avait certifié qu’il n’y avait pas de différences de qualité entre les deux, puisque toutes les deux HD, mais je trouve tout de même que les images tournées en France sont moins jolies que celles tournées au Japon.

Ton film s’inspire-t-il de certains manga, qui se focalisent sur des éléments de vie quotidienne ? Je pense un peu à la nouvelle manga de Frédéric Boilet ?
Je ne connais pas ce manga. Après j’ai lu tant de mangas (maintenant, ça m’est passé, enfin j’ai surtout plus le temps) qu’il y a forcément des influences mais il n’y en a pas une en particulier. Disons que j’aime les films de genre qui s’inscrivent dans un contexte quotidien. Les films d’action s’inscrivent en général dans un contexte de film d’action et d’emblée, même si on est pris dedans, on y croit pas vraiment car c’est un film d’action. Alors que si l’action surgit subitement dans un contexte de départ relativement réaliste et banal, l’ensemble prend beaucoup plus de force et d’intensité. Je ne peux pas non plus dire que nous avons parfaitement réussi cela avec Sakura no kage, car le manque de temps et de moyens n’a pas aidé à crédibiliser certaines choses, mais disons que c’était la volonté de départ. Et c’est ce que j’ai continué à faire par la suite, où le film débute toujours sur du quotidien assez terre à terre avant que le fantastique et l’onirisme viennent petit à petit insuffler quelques touches particulières. C’est un mélange que j’aime.

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Que retires-tu de l’expérience de co-réalisation ?
Enthousiasmant et frustrant. Enthousiasmant parce que c’est un jeu de ping-pong perpétuel où l’un a une idée que l’autre va améliorer, et où l’on se renvoie la balle sans cesse pour essayer d’avoir la meilleure idée. Frustrant parce que l’on ne voit pas forcément les choses de la même manière et il y a quelques éléments qu’il n’y a pas dans le film que je regrette de ne pas avoir pu tourner, Toda n’en voyant pas l’intérêt, alors que pour moi cela me semblait fondamental. Le film durant 70 minutes, il aurait suffit de ces quelques scènes selon moi pour que le film gagne en compréhension et complexité. Mais bon, on a aussi fait tout ce que l’on pouvait avec les moyens et le temps que l’on avait. Le film a coûté dans les 6000€ et on est parvenu à faire un long-métrage qui a été sélectionné au festival Fantasia de Montréal, plus grand festival de films de genre d’Amérique du Nord où Toda et moi nous sommes d’ailleurs rendus. Donc nous sommes tout de même parvenus à un certain résultat. Bien que cela ait pris plus d’un an pour des soucis de montage. Si Toda et moi étions à peu près d’accord sur le scénario et la réalisation, sur le montage on n’avait pas du tout la même idée. Comme c’est lui qui avaient les rushs, c’est lui qui a monté le film, et quand il me l’a envoyé je ne reconnaissais pas le film qu’on avait tourné. Je le trouvais affreusement lent (déjà qu’il est déjà très contemplatif dans la version actuelle), on ne comprenait rien à l’histoire ni aux sentiments des personnages, c’était une catastrophe. Il a fallut donc plusieurs versions, et enfin un remontage total que j’ai fait après avoir récupéré les rushs pour obtenir le film actuel. Et depuis l’on a fait une nouvelle tentative de co-réalisation avortée qui n’a pas du tout fonctionné et le film ne verra pas le jour. Donc la co-réalisation ce n’est vraiment pas évident, d’autant plus quand il y a un français de 30 ans avec un japonais de 57 ans. On se complète mais s’oppose aussi.

survival_poster_webComment est né le projet “Survival” ?
Le projet est né de la volonté de faire un film avec Damien Leconte, champion d’Europe de kickboxing, mais de ne pas tant se baser sur ses talents des kickboxer que sur le combattant qu’il est. C’est-à-dire qu’on ne voulait pas tomber dans la facilité de lui faire juste donner des coups à gogos, je voulais lui donner une histoire et un personnage, et surtout un véritable rôle. J’ai donc décidé de prendre le contrepied de l’apparence de Damien : un mec sympathique, toujours souriant, fort, énergique… et d’en faire un mec renfermé, affaibli, sans volonté… Tout en gardant le fait qu’il était un kickboxer, car cela aurait été dommage de passer à côté de telles aptitudes. Et donc la seule chose qui me semblait pouvoir briser un tel champion a été immédiatement de briser son corps, et donc le cancer. Et après j’ai cherché comment insuffler du fantastique dans un tel postulat de départ.

Comment as-tu rencontré Damien Leconte ?
Sur Myspace. On s’était rencontré suite à un bulletin que j’avais fait passer concernant un lointain de projet de long-métrage sur la boxe et Damien m’avait répondu en me disant que si un jour j’avais besoin d’un acteur pour la boxe il serait intéressé. De fil en aiguille on est devenu amis et on a très vite eu l’envie de mélanger nos univers. Damien n’avait jamais joué mais j’ai toujours eu confiance en lui et je suis ravi du résultat, tout en sachant qu’il est loin d’avoir révélé tout son potentiel et qu’avec plus d’expérience il pourrait être une très grand acteur car il en a la gueule, le charisme et les capacités. Donc le duo Tauveron-Leconte devrait se retrouver pour plusieurs autres rounds. Et puis il était question que Damien m’entraîne personnellement pour un rôle de boxeur que je souhaitais interpréter, et j’ai eu droit à 2 leçons privées qui resteront gravées dans ma mémoire. Intenses mais extrêmement formatrices. Malheureusement depuis je souffre d’une hernie discale et je dois donc remettre ce projet pour plus tard en attendant que cela rentre à peu près dans l’ordre.

Mélanger kickboxing et Dieu, n’avais-tu pas peur que cela paraîsse un peu ridicule ?
Si bien sûr. Tout le postulat de départ prêtait au ridicule. Un champion de kickboxing n’ayant jamais joué se voyant offrir un rôle dramatique. Personnifier la maladie et la mort. Rajouter Dieu à l’histoire. C’était extrêmement casse gueule et on aurait pu tous se ridiculiser. Mais en étant conscient de ça dès le départ, j’ai fait très attention à faire évoluer mon histoire de telle façon à ce que l’on ne tombe jamais dans le ridicule, tout en jouant sur des aspects un peu stéréotypés pour les personnages. On m’a reproché que le scénario du film était un peu bateau, ce que je ne contredis pas non plus, mais je m’étais donné pour but de ne pas dépasser 20 minutes (après c’est beaucoup plus difficile d’exploiter un court en festival, à la TV ou même en DVD) et j’ai donc du faire des choix et ne pas développer certains éléments ou certains personnages comme je l’aurais souhaité. Et puis Survival reste un conte sur le combat qui est tout d’abord contre soi même. D’où l’omniprésence de la musique et les encarts noirs qui présentent les 3 chapitres, car je souhaitais une mise en scène en rapport avec l’esprit de fable.

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Comment as-tu recruté les acteurs ?
Pour La Mort, dès que j’ai eu idée de la personnifier en une version correspondant au combattant qu’est Damien, j’ai tout de suite penser à mon ami Eddy Viannet qui est un grand gars costaud et qui n’en demeure pas moins un athlète capable de vous balancer son pied au visage. Il a pris 7 kgs de muscle rien que pour le film en s’entraînant énormément, tout en ayant un certain régime alimentaire qui lui a permis de garder les joues creuses. Les gens ne se rendent pas compte de tout le travail qu’il a effectué pour ce personnage dont il a lui-même créé le costume qui plus est, sans parler du fait qu’il a effectué tout le tournage en apnée car la mort ne respire pas. Pour La Maladie, c’est les amis travaillant à la technique qui m’ont présenté Bernard Chapelain en me disant qu’il serait parfait pour le rôle sadique et vicieux que je recherchais, et ils ont eu raison. Pour Alexandra, qui joue le rôle de Sabrina, c’est elle qui est venue à moi, sachant que je cherchais une comédienne, et si au départ j’imaginais le personnage très différemment cela m’a donné l’idée de partir dans une autre direction, sur un personnage plus fragile et plus effacé mais qui au dernier moment donnera l’impulsion nécessaire à Damien pour se reprendre. Quant au fait de me choisir moi-même pour jouer Dieu, tout en sachant que ça allait faire jaser sur ma mégalomanie, je ne pouvais résister à l’idée de créer Dieu à mon image et de l’interpréter à ma façon. Et puis j’ai l’habitude de jouer un rôle secondaire dans mes films, souvent coup de pouce du destin envers le personnage principal, et ne me voyant ni jouer la maladie, ni la mort, il ne restait que ce rôle. Et à part le fait de jouer pied nu en petite chemisette par -5° durant tout le tournage c’était une très bonne expérience.

Des projets ?
Oui pas mal de clips, dont normalement un ou deux que je vais tourner au Japon cet été. Et puis surtout côté fictions, il semble temps de passer à un long-métrage d’après beaucoup de personnes que j’ai pu rencontrer. Donc je suis en train de préparer plusieurs projets. Il y a mon projet sur la boxe mais comme c’est un projet complexe, je préfère me faire la main sur d’autres films avant. Sinon j’ai un projet de film qui se passerait principalement au Japon, un drame fantastique, Sur tes ailes. Et je suis actuellement en train d’écrire un autre scénario de drame fantastique (décidément le genre qui me plaît le plus), Le complexe du nombril, qui serait une fable écologique, fantastique et onirique sur fond de fin du monde, avec quelques fantômes, démons et autres créatures sympathiques qui passeraient par là, le tout avec un zest d’humour.

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