Inception, de Christopher Nolan

« Everybody be cool, this is a robbery ! »

Vous aimez les fusillades, les explosions ? Les plans audacieux et les timings serrés ? Les effets spéciaux économes d’effets numériques ? Vous trouverez tout cela dans Inception, un blockbuster parfaitement réglé, maîtrisé de bout en bout : on y fuit sous une pluie de balles dans des ruelles de Mombassa, on s’y bastonne en apesanteur dans un hôtel de luxe, on y manque de se prendre un train sur la figure en plein milieu de la rue d’une métropole moderne, on y fait du ski une mitraillette sous le bras… Les effets spéciaux réels sont majoritaires et très réussis, la photo est, comme d’habitude chez Nolan, léchée et travaillée juste ce qu’il faut pour paraître naturelle, seul l’usage de la musique est critiquable, elle a tendance à souligner l’action de manière un peu trop appuyée, mais c’est probablement ici une question de goût.

Le scénario, quant à lui, est dense sans jamais nous perdre, la narration efficace avec mention spéciale à la gestion de l’urgence : comme dans tout bon film d’action, la question du rythme est primordiale. Elle est traitée de manière remarquable dans Inception. Quand on dort, la manière la plus sûre de s’éveiller est de chuter : l’oreille interne sent la perte d’équilibre et vous êtes tiré du monde des rêves. Les braqueurs d’Inception utilisent cette méthode, avec des variantes toutes plus spectaculaires les unes que les autres, et un signal les prévient que le temps du réveil est proche – un casque sur les oreilles dans le monde réel qui joue à tue-tête une chanson d’Edith Piaf. Ainsi, les règles science-fictives qui régissent les rêves dans Inception correspondent aux règles du film d’action : quand résonne « je ne regrette rien », le spectateur sait que le temps presse et la sensation d’urgence en est redoublée, le côté arbitraire du « vous avez sept minutes pour désamorcer la bombe, Jack » est évacué parce qu’il est justifié. Et comme plus on s’enfonce dans les rêves plus le temps se fait élastique, Inception nous offre quelques beaux plans au ralenti de ce qui se passe dans la réalité : le temps qu’une chaise tombe en arrière dans le monde réel et vous aurez vécu de longues minutes en rêve, des plans de la chute viennent donc entrecouper l’action pour nous rappeler que le temps commence à manquer – on regrettera juste que, parfois, Nolan multiplie la répétition des plans d’une même chute au-delà de l’efficace, au point qu’on finit par avoir envie de lui dire « ça va, j’ai compris ».

Un bon film d’action, donc ? Un film d’action très classique, disons. Trop classique. Outre un paquet d’incohérences scénaristiques dont nous ne ferons pas le détail, Inception souffre de dialogues peu inspirés, entendus mille fois ailleurs, de personnages peu subtils dont les relations les uns avec les autres sont de l’ordre du cliché. Ainsi, comme dans une tripotée de film du genre, deux personnages sont en rivalité amicale et s’asticotent l’un l’autre constamment : outre le côté déjà-vu de l’affaire, les dialogues comiques qu’elle implique sont à côté de la plaque mais heureusement fort peu nombreux. Inception n’est pas drôle, même quand il essaye de l’être, et le côté équipe de braqueurs n’est pas à la hauteur, biens moins réussi que dans une quantité de film du genre. En outre, les péripéties, à part une tentative assez réussie de renouveler le kung fu post-Matrix avec un pugilat dans un décor qui tourne dans tous les sens, n’ont rien d’exceptionnel (James Bond a déjà buté des méchants en faisant du ski, merci) mais l’action meuble sans provoquer de déplaisir les deux heures trente-huit d’Inception.

13 commentaires sur “Inception, de Christopher Nolan”
  1. Un grand merci de cette analyse que je partage complètement. Les notes mises sur IMDB et allociné montrent que pour plaire au grand public il ne faut surtout pas prendre trop de risques. Un beau casting avec “les grands du moment”, une touche fantaisiste pour le scénario (chiadé mais qui n’invente pas grand chose) mais, surtout pas de folie, ni d’effet un peu osé (“gore”…).
    Bref, encore une déception, Dick n’est toujours pas représenté dignement… Je m’en retourne voir mes Cronenberg 🙂

  2. La musique castre le film aussi, comme le fait remarquer Jacques, on a l’impression que Nolan avait peur de ne pas en faire assez et donc il en a fait un peu trop – mais sans prendre de risques.
    Le concept est intéressant, mais il n’est pas traité de façon intéressante. Personnellement, le film m’a donné envie de revoir “Total Recall” – on peut dire que la fin d'”Inception” y fait énormément écho.

  3. Petite précision, pour ceux qui m’ont fait la remarque, et les autres – quand j’écris : « Cobb qui explique à son architecte que les mondes oniriques doivent être réalistes pour tromper la vigilance de la cible visée : Nolan n’a-t-il donc jamais rêvé ? Où a-t-il donc été chercher que les rêves sont vraisemblables, que ce soit visuellement ou au niveau de la narration ? », je n’oublie pas que cette impératif est justifié dans le film, je conteste cette justification.
    L’idée est que, pour que la cible ne soit pas sur ses gardes, elle ne doit pas se rendre compte qu’elle est entrain de rêver… Parce que, c’est bien connu, quand on se rend compte qu’on rêve (un truc qui arrive tous les jours), on est vachement plus vigilant que dans la réalité… N’importe quoi…
    On me dira : mais ceux qui sont entraînés à résister au piratage onirique, hein ? Eh bien, je pense que le fait que des hordes de type en armes canardent tous les inconnus qui essayent de leur parler de trucs bizarres est suffisant, non ? Remarquez, vu que la réalité est le cadre des mêmes scènes d’action que les rêves, c’est pas certain…
    Non, en fait, le principe de la vraisemblance des rêves n’est aucunement nécessaire à la logique des conceptions science-fictives exposées par les personnages. Elle n’est nécessaire qu’à la logique du film Inception, à sa structure de film-d’action-avé-des-explosions… C’est une manifestation de la tendance au contrôle de Nolan, une pure arnaque scénaristique pour ne pas avoir à se coltiner la puissance, la richesse et l’excès du rêve.

  4. Vu hier soir. Pas si mal. Bon, je l’aurai bien appelé Mission impossible IV, version subconscient. Y a tout, recrutement, le timing infernal, l’hsistoire d’amour impossible. Quelques bonnes scènes bien troussées, mais d’autres bien craignos ! l’architecte qui découvre ce que c’est que l’escalier paradoxal, on y croit pas trop (j’ai du voir le dessin en 4ème, à peu près). Mais je reste indulgent, car ils n’avaient pas la casquette à l’envers comme dans les Emmerich. Essentiel pour ne pas fuir au bout de cinq minutes.

  5. Je suis en gros d’accrod avec toi mais la fin quand meme : moi ça m’a donné des frissons dickiens, parce qu’il se reveille pas et du coup ça donne tout une autre dimension au film.

  6. C’est bizarre, pour ce nième film sur le rapport réalité – fiction, qu’on se retrouve strictement dans la tête à Nolan. Avec, sur chaque scène, tamponné en gros et en rouge : “fantasme de réalisateur hollywoodien”… Je ne comprends toujours pas que ces blockbustereux qui prétendent nous causer du rêve aient au final si peu de considération pour le réel. Leur vision du monde est archétype, structure, fil de fer, scénario, décor. A la fois vide de tout ambition et complètement nombriliste.
    Si c’est ça le cinéma, je préfère les drogues dures.

  7. Attention : ici, on SPOILE

    Ah, ah, la question-qui-tue : Cobb est-il prisonnier de ses rêves à la fin ?
    La toupie peut tourner ou ne pas tourner à l’infini (il faut encore qu’on m’explique pourquoi un rêveur ne pourrait pas la faire tomber dans son rêve pour faire croire à Cobb qu’il est éveillé : ce n’est pas comme les dés qui donnent un résultat que seul le possesseur du totem connait), la scène avec les enfants est la même que pendant les flashbacks (même s’ils sont plus âgés et habillés différemment), les règles du piratage du rêve ne sont pas du tout respectées à la fin, etc.
    Et alors ? Ma théorie est simple : on s’en fout. Ça ne change rien. Cobb va bien finir par revenir dans la pièce, il verra si la toupie tourne, tant mieux pour lui mais, moi, ça fait longtemps que ça ne m’intéresse plus.

    Autre question-qui-tue qui va avec : est-ce que Inception est, du début à la fin, un rêve ?
    Faux raccords, traitement identique de l’action dans le rêve et la réalité, allusions de Mall à la paranoïa de Cobb, etc.
    C’est le fameux problème du moment dickien dont parle ma critique : le monde réel fonctionne comme le monde du rêve, à base de fusillades. Paradoxalement, les murs qui se resserrent désamorcent complètement ce brouillage : on se dit « ok, si ça se trouve ce n’est qu’un rêve » et, du coup, le film perd ce qui lui restait de force. Les enjeux deviennent inexistants puisque fantasmés et, dès lors qu’il n’y a plus de réalité, donc plus de possibilité de douter de ce qui est vrai ou ne l’est pas, le vertige devient d’autant plus impossible à ressentir…
    Certes, cela permet de justifier les incohérences du scénario, les références grossières (Ariane, Edith Piaf) mais c’est foncièrement malhonnête. « Ta gueule, c’est magique », devient la réponse à tout. Cobb, double de Nolan, est le réalisateur de ses propres fantasmes, un bloubiboulga de films mal digérés, une collection de références vaines qui n’arrivent pas à la cheville des films qu’elles pompent allègrement : Cobb, cinéphile médiocre, a aimé la trilogie Jason Bourne, La Môme, James Bond, les films de Gondry, etc., et nous les ressert en moins bien faute d’imagination.
    Cela permet aussi de justifier la vraisemblance des rêves : de peur que le spectateur ne se rende compte trop vite du fait que Inception est un rêve, on nous impose une règle purement arbitraire sur la vraisemblance. C’est encore pire de ce point de vue que si le film oscille entre rêve et réalité. La justification interne déjà foireuse (les rêves doivent être vraisemblables pour tromper le rêveur) est encore plus réduite à une justification externe (le film doit être vraisemblables pour tromper le spectateur). C’est une esthétique de cul-de-jatte : Nolan, pour faire vrai, s’ampute lui-même de la liberté de créer parce qu’il a la trouille de se donner les moyens de faire vraiment un film sur les rêves.
    Et c’était loin d’être impossible : c’est de la SF non ? À partir du moment ou le spectateur a accepté qu’une sorte de playstation puisse nous permettre de pénétrer dans les rêves d’autrui, il est prêt à accepter un paquet d’autres trucs bizarres (Total Recall, effectivement) – en fait, Nolan a choisi de mettre le moins de SF possible dans son film, parce qu’il voulait faire “son fantasme de réalisateur hollywoodien”, comme le dit Léo : un film d’action, point barre. Autre possibilité que Nolan s’interdit : la folie de Cobb. Il y avait moyen de faire halluciner Cobb dans la « réalité », d’ajouter de l’étrangeté à ce film bien trop sage. Mais non.

    En fait, ça ne change rien non plus. De toutes façons, à moins de penser que la conception glauque du couple de Nolan est un super sujet, on se fiche éperdument de ce qui arrive à Cobb, rêve ou réalité.

    Inception est bien un film sur la façon dont Nolan pense que les films fonctionnent : que ce soit dans un rêve, dans la réalité ou en regardant un film, la catharsis est la même, les larmes sont bien réelles, nous dit-il. Outre que son film n’émeut pas, outre qu’on se doutait sans lui, et depuis un certain temps déjà, que les films sont des fictions, Nolan méprise ainsi le réel, comme le dit Léo, et le rêve.
    Nous nous contenterons de mépriser son cinéma.

  8. La fin du Prestige était aussi un gros discours pompeux sur la création (et une bouleversante mise en abyme sur la condition de l’être-Nolan).

  9. Aucune de ces critiques ne manque de pertinence, c’est scandaleusement bien ficelé et nul doute que Nono aurait été forcé d’admettre certaines des facilités auxquelles il s’est laissé allé.
    Mais tout ça me rappelle mes cours de littérature en terminale, quand mes profs isolaient chaque syllabe de chaque mot de chaque vers des sublimes poèmes des fleurs du mal ou d’Alcools. On retrouve ici l’approche charcutière : isoler le maigre, vider les organes et couper le gras autour.
    Désolé mais pour moi c’est pas de la critique, c’est juste de la boucherie.

    un cinéphile

  10. Ce que tu sembles oublier c’est que, Les fleurs du mal ou Alcools sont effectivement sublimes : dès lors, la critique en détail, l’analyse de ce qui les fait fonctionner, de ce qui les rend si puissants ne peut que renforcer ce sentiment, permet de montrer que dans l’infime d’une rime isolée se trouve déjà la beauté. Et, il y a ce moment de la critique ou, justement, celle-ci échoue à définir ce qui les rend encore plus beaux, plus puissants, un moment ou leur caractère sublime échappe au commentaire.
    Inception, en revanche, est un mauvais film : dès lors, la critique décortique ce qui l’empêche de marcher, ce qui le rend médiocre, inepte. Et la magie encore : malgré le soin mis à analyser le film, malgré l’examen attentif des thèmes, de leur mise en forme, malgré le sens du détail, la critique s’épuise là aussi, comme pour un chef d’œuvre, et l’inanité de l’ensemble ne peut que rester supérieur à l’analyse de ses parties.
    Bref, une grande œuvre ne perd jamais à être critiquée, il est normal qu’une mauvaise œuvre n’y gagne rien.
    Mais admettons que l’approche charcutière soit mauvaise en soi. Il aurait fallu dès lors considérer l’animal Inception comme un tout pour en parler de manière pertinente… On se demande ce que ça aurait changé quant au fond : le propos aurait-il été transformé, le film en serait-il devenu meilleur ? Mais, soit, voici la critique globale de l’œuvre de Nolan :

    Inception est un pseudo film de science-fiction sans imagination qui aligne pendant des plombes les clichés les plus éculés du cinéma d’action à grand-spectacle hollywoodien, réussissant l’exploit d’être toujours en deçà des films dont il s’inspire. Plutôt du moyen spectacle, donc.
    On dirait « Mission Impossible 32 dans ta tête », on s’ennuie pas mal, c’est visuellement quelconque (vous aurez tout vu en vous contentant de la bande-annonce et des affiches), les enjeux sont ridicules, les personnages sans intérêt.
    À la fin, tout n’est qu’un rêve, ou pas, on s’en fiche et Nolan aussi parce que, pour lui, les rêves, c’est un enchaînement de poncifs « réalistes » déjà vu mille fois ailleurs.
    On cherchera en vain une occasion de ressentir un vertige, un trouble, une émotion : produit de la tendance maniaque au contrôle du réalisateur/scénariste/producteur, Inception passe à côté de son sujet, le rêve et est aussi excitant qu’un samedi matin à faire la queue à la sécu.
    N’y allez pas.

    Voilà. Peut-être qu’après tout, la viande avariée, ça ne mérite pas qu’on la désosse, peut-être que ça ne mérite qu’un aller simple pour la poubelle.

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