Inception, de Christopher Nolan

« Mister Sandman, bring me a dream… »

Et la science-fiction alors ? Inception ajoute à notre présent la possibilité de pénétrer les rêves d’autrui et nous explique efficacement les procédures qu’utilisent les pirates une fois infiltrés dans l’inconscient de leur victime. Les puristes du réalisme scientifique déploreront sans doute les approximations tant sur la mécanique des rêves que sur le plan psychologique traité de manière simpliste mais, à vrai dire, on s’en fiche un peu, le principe science-fictif d’Inception fonctionne, reste cohérent et crédible.

Visuellement cependant, Inception peut décevoir. Après une jolie explosion au ralenti et une pliage de Paris sur lui-même on ne trouvera que quelques escaliers qui tournent en rond, qu’un ascenseur qui mène à des étages où se rejouent les souvenirs de Cobb, qu’une ville aux architectures disparates (petite maison flanquée de deux buildings par exemple). En fait, si vous avez vu les affiches du film, vous avez vu la plupart des décors les plus impressionnants.

C’est d’autant plus dommage qu’on finit rapidement par se demander ce que le fait qu’il se déroule dans des rêves apporte au récit, à part ces quelques décors et cascades. « Pour un réalisateur c’est un monde idéal à explorer puisque, s’agissant de l’esprit humain, tout est permis. Du coup, il fallait qu’un film qui s’attelle à un tel sujet soit un divertissement de tout premier plan. », dit Nolan (nous soulignons). Mais, si « tout est permis » on constate assez vite que Nolan ne s’est pas permis grand chose. On se prend à penser à la vieille série au succès limité, VR5, qui osait visuellement (et narrativement) plus avec un budget bien moindre, voire à se dire que The Cell malgré son hideuse esthétique pubarde et sa bêtise intrinsèque était plus inventif quand il s’agissait de mettre les rêves en décors. En fait, Nolan semble se refuser à inventer : Cobb n’explique-t-il pas lui-même à son architecte que créer c’est faire du neuf avec du vieux, en mélangeant des éléments d’architectures classiques pour construire un décor vraisemblable ?

Cette question de la vraisemblance est au centre de la déception que peut provoquer Inception pour qui ne souscrirait pas à son principe. Il ne s’agit pas de dire que Nolan a eu tort de vouloir réaliser un film d’action dans le monde des rêves. Il s’agit de contester le présupposé qu’il n’y a qu’une manière de réaliser un film d’action : les règles du blockbuster, avec sa narration linéaire où règne l’enchaînement des péripéties dans des décors se voulant crédibles. Dès lors que son film se déroulait essentiellement dans des rêves, dès lors que Nolan considère que ce fait lui procurait une liberté absolue, pourquoi s’est-il acharné à nous proposer un récit tout ce qu’il y a de classique, au point de refuser de prendre en compte un de ces sujets centraux, le rêve ? Deux éléments paraissent symptomatiques : d’abord, dans l’univers d’Inception, certains individus sont entraînés à résister aux incursions des pirates : leur subconscient est donc militarisé – leur résistance apprise se traduit par un paquet de types en armes… N’y avait-il pas des moyens un peu plus subtils de traduire cette résistance ? Ensuite, Cobb qui explique à son architecte que les mondes oniriques doivent être réalistes pour tromper la vigilance de la cible visée : Nolan n’a-t-il donc jamais rêvé ? Où a-t-il donc été chercher que les rêves sont vraisemblables, que ce soit visuellement ou au niveau de la narration ?

Les décors les plus cohérents ne sont pas vraisemblables justement : la ville de bric et de broc où se juxtaposent des éléments d’architectures disparates, la cage d’ascenseur qui mène Cobb à ses souvenirs. Au contraire, le niveau le plus profond de la psyché de la cible dans lequel à été importée une forteresse enneigée, hommage aux repaires secrets des méchants de James Bond, qui fait surtout penser à un level design pas très original de jeu vidéo, n’a aucun intérêt. En fait, du point de vue visuel comme narratif, là où, puisque nous sommes dans des rêves, nous pouvions nous attendre à de l’étrangeté, il n’y a que de la normalité, là où nous pouvions nous attendre à du symbolique il n’y a que de l’illustratif, là où nous pouvions attendre de la folie il n’y a que l’impressionnante maîtrise de Nolan – qui contrôle tout et ne nous permet donc jamais de rêver. Inception est ainsi tellement maîtrisé, si respectueux des codes de film d’action qu’il se donne, si explicatif malgré sa réelle densité scénaristique, qu’il échoue à provoquer chez le spectateur toute sensation de vertige. Comment, alors que Nolan ne lâche jamais prise, le spectateur pourrait-il bien le faire ? Inception ne peut pas troubler parce qu’il est sous le contrôle total de son auteur : la façon même qu’il a de nous raconter son histoire triomphe du sujet de son récit : la puissance du rêve.

13 commentaires sur “Inception, de Christopher Nolan”
  1. Un grand merci de cette analyse que je partage complètement. Les notes mises sur IMDB et allociné montrent que pour plaire au grand public il ne faut surtout pas prendre trop de risques. Un beau casting avec “les grands du moment”, une touche fantaisiste pour le scénario (chiadé mais qui n’invente pas grand chose) mais, surtout pas de folie, ni d’effet un peu osé (“gore”…).
    Bref, encore une déception, Dick n’est toujours pas représenté dignement… Je m’en retourne voir mes Cronenberg 🙂

  2. La musique castre le film aussi, comme le fait remarquer Jacques, on a l’impression que Nolan avait peur de ne pas en faire assez et donc il en a fait un peu trop – mais sans prendre de risques.
    Le concept est intéressant, mais il n’est pas traité de façon intéressante. Personnellement, le film m’a donné envie de revoir “Total Recall” – on peut dire que la fin d'”Inception” y fait énormément écho.

  3. Petite précision, pour ceux qui m’ont fait la remarque, et les autres – quand j’écris : « Cobb qui explique à son architecte que les mondes oniriques doivent être réalistes pour tromper la vigilance de la cible visée : Nolan n’a-t-il donc jamais rêvé ? Où a-t-il donc été chercher que les rêves sont vraisemblables, que ce soit visuellement ou au niveau de la narration ? », je n’oublie pas que cette impératif est justifié dans le film, je conteste cette justification.
    L’idée est que, pour que la cible ne soit pas sur ses gardes, elle ne doit pas se rendre compte qu’elle est entrain de rêver… Parce que, c’est bien connu, quand on se rend compte qu’on rêve (un truc qui arrive tous les jours), on est vachement plus vigilant que dans la réalité… N’importe quoi…
    On me dira : mais ceux qui sont entraînés à résister au piratage onirique, hein ? Eh bien, je pense que le fait que des hordes de type en armes canardent tous les inconnus qui essayent de leur parler de trucs bizarres est suffisant, non ? Remarquez, vu que la réalité est le cadre des mêmes scènes d’action que les rêves, c’est pas certain…
    Non, en fait, le principe de la vraisemblance des rêves n’est aucunement nécessaire à la logique des conceptions science-fictives exposées par les personnages. Elle n’est nécessaire qu’à la logique du film Inception, à sa structure de film-d’action-avé-des-explosions… C’est une manifestation de la tendance au contrôle de Nolan, une pure arnaque scénaristique pour ne pas avoir à se coltiner la puissance, la richesse et l’excès du rêve.

  4. Vu hier soir. Pas si mal. Bon, je l’aurai bien appelé Mission impossible IV, version subconscient. Y a tout, recrutement, le timing infernal, l’hsistoire d’amour impossible. Quelques bonnes scènes bien troussées, mais d’autres bien craignos ! l’architecte qui découvre ce que c’est que l’escalier paradoxal, on y croit pas trop (j’ai du voir le dessin en 4ème, à peu près). Mais je reste indulgent, car ils n’avaient pas la casquette à l’envers comme dans les Emmerich. Essentiel pour ne pas fuir au bout de cinq minutes.

  5. Je suis en gros d’accrod avec toi mais la fin quand meme : moi ça m’a donné des frissons dickiens, parce qu’il se reveille pas et du coup ça donne tout une autre dimension au film.

  6. C’est bizarre, pour ce nième film sur le rapport réalité – fiction, qu’on se retrouve strictement dans la tête à Nolan. Avec, sur chaque scène, tamponné en gros et en rouge : “fantasme de réalisateur hollywoodien”… Je ne comprends toujours pas que ces blockbustereux qui prétendent nous causer du rêve aient au final si peu de considération pour le réel. Leur vision du monde est archétype, structure, fil de fer, scénario, décor. A la fois vide de tout ambition et complètement nombriliste.
    Si c’est ça le cinéma, je préfère les drogues dures.

  7. Attention : ici, on SPOILE

    Ah, ah, la question-qui-tue : Cobb est-il prisonnier de ses rêves à la fin ?
    La toupie peut tourner ou ne pas tourner à l’infini (il faut encore qu’on m’explique pourquoi un rêveur ne pourrait pas la faire tomber dans son rêve pour faire croire à Cobb qu’il est éveillé : ce n’est pas comme les dés qui donnent un résultat que seul le possesseur du totem connait), la scène avec les enfants est la même que pendant les flashbacks (même s’ils sont plus âgés et habillés différemment), les règles du piratage du rêve ne sont pas du tout respectées à la fin, etc.
    Et alors ? Ma théorie est simple : on s’en fout. Ça ne change rien. Cobb va bien finir par revenir dans la pièce, il verra si la toupie tourne, tant mieux pour lui mais, moi, ça fait longtemps que ça ne m’intéresse plus.

    Autre question-qui-tue qui va avec : est-ce que Inception est, du début à la fin, un rêve ?
    Faux raccords, traitement identique de l’action dans le rêve et la réalité, allusions de Mall à la paranoïa de Cobb, etc.
    C’est le fameux problème du moment dickien dont parle ma critique : le monde réel fonctionne comme le monde du rêve, à base de fusillades. Paradoxalement, les murs qui se resserrent désamorcent complètement ce brouillage : on se dit « ok, si ça se trouve ce n’est qu’un rêve » et, du coup, le film perd ce qui lui restait de force. Les enjeux deviennent inexistants puisque fantasmés et, dès lors qu’il n’y a plus de réalité, donc plus de possibilité de douter de ce qui est vrai ou ne l’est pas, le vertige devient d’autant plus impossible à ressentir…
    Certes, cela permet de justifier les incohérences du scénario, les références grossières (Ariane, Edith Piaf) mais c’est foncièrement malhonnête. « Ta gueule, c’est magique », devient la réponse à tout. Cobb, double de Nolan, est le réalisateur de ses propres fantasmes, un bloubiboulga de films mal digérés, une collection de références vaines qui n’arrivent pas à la cheville des films qu’elles pompent allègrement : Cobb, cinéphile médiocre, a aimé la trilogie Jason Bourne, La Môme, James Bond, les films de Gondry, etc., et nous les ressert en moins bien faute d’imagination.
    Cela permet aussi de justifier la vraisemblance des rêves : de peur que le spectateur ne se rende compte trop vite du fait que Inception est un rêve, on nous impose une règle purement arbitraire sur la vraisemblance. C’est encore pire de ce point de vue que si le film oscille entre rêve et réalité. La justification interne déjà foireuse (les rêves doivent être vraisemblables pour tromper le rêveur) est encore plus réduite à une justification externe (le film doit être vraisemblables pour tromper le spectateur). C’est une esthétique de cul-de-jatte : Nolan, pour faire vrai, s’ampute lui-même de la liberté de créer parce qu’il a la trouille de se donner les moyens de faire vraiment un film sur les rêves.
    Et c’était loin d’être impossible : c’est de la SF non ? À partir du moment ou le spectateur a accepté qu’une sorte de playstation puisse nous permettre de pénétrer dans les rêves d’autrui, il est prêt à accepter un paquet d’autres trucs bizarres (Total Recall, effectivement) – en fait, Nolan a choisi de mettre le moins de SF possible dans son film, parce qu’il voulait faire “son fantasme de réalisateur hollywoodien”, comme le dit Léo : un film d’action, point barre. Autre possibilité que Nolan s’interdit : la folie de Cobb. Il y avait moyen de faire halluciner Cobb dans la « réalité », d’ajouter de l’étrangeté à ce film bien trop sage. Mais non.

    En fait, ça ne change rien non plus. De toutes façons, à moins de penser que la conception glauque du couple de Nolan est un super sujet, on se fiche éperdument de ce qui arrive à Cobb, rêve ou réalité.

    Inception est bien un film sur la façon dont Nolan pense que les films fonctionnent : que ce soit dans un rêve, dans la réalité ou en regardant un film, la catharsis est la même, les larmes sont bien réelles, nous dit-il. Outre que son film n’émeut pas, outre qu’on se doutait sans lui, et depuis un certain temps déjà, que les films sont des fictions, Nolan méprise ainsi le réel, comme le dit Léo, et le rêve.
    Nous nous contenterons de mépriser son cinéma.

  8. La fin du Prestige était aussi un gros discours pompeux sur la création (et une bouleversante mise en abyme sur la condition de l’être-Nolan).

  9. Aucune de ces critiques ne manque de pertinence, c’est scandaleusement bien ficelé et nul doute que Nono aurait été forcé d’admettre certaines des facilités auxquelles il s’est laissé allé.
    Mais tout ça me rappelle mes cours de littérature en terminale, quand mes profs isolaient chaque syllabe de chaque mot de chaque vers des sublimes poèmes des fleurs du mal ou d’Alcools. On retrouve ici l’approche charcutière : isoler le maigre, vider les organes et couper le gras autour.
    Désolé mais pour moi c’est pas de la critique, c’est juste de la boucherie.

    un cinéphile

  10. Ce que tu sembles oublier c’est que, Les fleurs du mal ou Alcools sont effectivement sublimes : dès lors, la critique en détail, l’analyse de ce qui les fait fonctionner, de ce qui les rend si puissants ne peut que renforcer ce sentiment, permet de montrer que dans l’infime d’une rime isolée se trouve déjà la beauté. Et, il y a ce moment de la critique ou, justement, celle-ci échoue à définir ce qui les rend encore plus beaux, plus puissants, un moment ou leur caractère sublime échappe au commentaire.
    Inception, en revanche, est un mauvais film : dès lors, la critique décortique ce qui l’empêche de marcher, ce qui le rend médiocre, inepte. Et la magie encore : malgré le soin mis à analyser le film, malgré l’examen attentif des thèmes, de leur mise en forme, malgré le sens du détail, la critique s’épuise là aussi, comme pour un chef d’œuvre, et l’inanité de l’ensemble ne peut que rester supérieur à l’analyse de ses parties.
    Bref, une grande œuvre ne perd jamais à être critiquée, il est normal qu’une mauvaise œuvre n’y gagne rien.
    Mais admettons que l’approche charcutière soit mauvaise en soi. Il aurait fallu dès lors considérer l’animal Inception comme un tout pour en parler de manière pertinente… On se demande ce que ça aurait changé quant au fond : le propos aurait-il été transformé, le film en serait-il devenu meilleur ? Mais, soit, voici la critique globale de l’œuvre de Nolan :

    Inception est un pseudo film de science-fiction sans imagination qui aligne pendant des plombes les clichés les plus éculés du cinéma d’action à grand-spectacle hollywoodien, réussissant l’exploit d’être toujours en deçà des films dont il s’inspire. Plutôt du moyen spectacle, donc.
    On dirait « Mission Impossible 32 dans ta tête », on s’ennuie pas mal, c’est visuellement quelconque (vous aurez tout vu en vous contentant de la bande-annonce et des affiches), les enjeux sont ridicules, les personnages sans intérêt.
    À la fin, tout n’est qu’un rêve, ou pas, on s’en fiche et Nolan aussi parce que, pour lui, les rêves, c’est un enchaînement de poncifs « réalistes » déjà vu mille fois ailleurs.
    On cherchera en vain une occasion de ressentir un vertige, un trouble, une émotion : produit de la tendance maniaque au contrôle du réalisateur/scénariste/producteur, Inception passe à côté de son sujet, le rêve et est aussi excitant qu’un samedi matin à faire la queue à la sécu.
    N’y allez pas.

    Voilà. Peut-être qu’après tout, la viande avariée, ça ne mérite pas qu’on la désosse, peut-être que ça ne mérite qu’un aller simple pour la poubelle.

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