Don’t fuck with Cousteau

Palme d’or au festival de Cannes 1956, Le monde du silence est aujourd’hui disponible dans une superbe copie restaurée pour le blu-ray. Réalisé par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, il est très intéressant de le redécouvrir au 21ème siècle, soit presque soixante ans plus tard. D’abord, il faut savoir que le film n’est pas vraiment un documentaire, loin du cinéma vérité de l’ethnologue Jean Rouch par exemple. Sur l’impulsion de Louis Malle, chaque séquence est scénarisée, les membres de l’équipe font des acteurs improvisés et les situations vécues dans le film sont provoquées. Cela se voit assez rapidement car le montage est un peu forcé, ce qui donne à l’oeuvre des allures de film d’aventures façon Tintin fait de la plongée.

Albert-Falco-Cousteau

A l’époque, le commandant Cousteau et son équipe font figure de pionniers en terme de découverte des fonds marins mais aussi pour la captation d’images. Le film sous-marin et le matériel de plongée, bien que rudimentaires, sont les plus élaborés au monde. Dans le documentaire présent sur le disque, Louis Malle insiste : à cette époque, il est le seul cameraman à faire des images sous-marines ! En 1956, la couleur n’est pas présente systématiquement. On tourne encore en noir & blanc et les pellicules couleur évoluent encore beaucoup.

Ce qui choque le plus, c’est bien entendu le fond du film et sans doute la pensée de l’époque. Derrière son titre onirique, Le monde du silence cache en fait un mondo parfois digne des étalons italiens des années 70, Cannibal Holocaust en tête. Pour mémoire, un mondo est un film plus ou moins documentaire, qui recherche avant tout à flatter les bas instincts des spectateurs en montrant toutes sortes d’atrocités, dont les animaux sont le plus souvent les premières victimes. Evidemment, le film de Cousteau et Malle ne répond pas tout à fait à cette description. Il y a une authentique naïveté, une insouciance certes un peu bête, mais sans doute justifiée par la méconnaissance de l’époque.

Malgré toute la contextualisation qu’on pourra leur donner, les images restent choquantes et extrêmement violentes. Ca commence plutôt gentiment avec le dynamitage d’un ensemble corallien. L’explosion est sévère et produit un véritable massacre parmi tous les poissons alentours. On nous explique que c’est la seule façon qu’ont les scientifiques pour opérer un recensement des espèces. Why not, argument valide. Ensuite, la morale est plus douteuse puisque l’équipe heurte volontairement avec le bateau un bébé cachalot ! L’animal se retrouve lacéré par les hélices de la Calypso. Il s’agit donc d’un sacrifice exécuté pour les besoins du film; on a du mal à trouver une quelconque caution scientifique là-dedans. Même Ruggero Deodato s’est toujours justifié sur la tortue démembrée, en précisant qu’elle avait été mangée sur place par les autochtones. Attirée par le sang, une tripotée de requins débarque et commence à déchiqueter le cadavre du cachalot. Animée par la “haine séculaire du requin”, l’équipe saisit des crochets et embroche une demi-douzaine d’individus pour les massacrer à coups de revers de hache sur le pont du navire. On constate qu’on est assez loin du gentillet Océans de Jacques Perrin et qu’il vaut mieux tenir les enfants éloignés. Aujourd’hui espèce menacée, on peut imaginer assez facilement que le requin est diabolisé à l’époque. Il l’est d’ailleurs toujours encore dès qu’il croque une jambe de surfeur. Dernier méfait, les marins débarquent sur une île et s’amusent à martyriser des tortues géantes en s’asseyant ou en se mettant debout sur leur carapace. On passera rapidement sur la séquence de Jojo le mérou, nourri aux farines animales…

Le film est donc le témoin d’une époque aujourd’hui bien révolue. En voyant ces images, on a peine à croire que Cousteau soit devenu le fer de lance de la protection de l’environnement à partir des années 70. Et pourtant, cette prise de conscience est sans doute la même qui a progressivement changé l’opinion publique jusqu’à nos jours. Quand il ne donne pas dans le trash, le film fait la place belle aux moyens techniques, aux différentes espèces de poissons et digresse un moment sur l’exploration d’une superbe et mystérieuse épave de cargo anglais.

3 commentaires sur “Don’t fuck with Cousteau”
  1. Cher Monsieur, je me permet de vous laisser ce commentaire, pour vous préciser que lorsque l’on a pas toutes les infos on s’abstient de raconter n’importe quoi. Je vous demanderai donc de vous reporter aux mémmoires d’Albert Falco un des plus anciens plongeurs de Cousteau, qui ne nie aucunements toutes les erreures volontaire et involontaires dont il n’est pas vraiment fier. mais de la à raconter n’importe quoi !!!!!!

  2. C’est vrai, ces scènes aujourd’hui difficilement soutenables n’ont jamais été niées par Cousteau bien évidemment, d’ailleurs il ne les a jamais retranchées du film, ces images correspondent à la “conscience” globale qu’on avait de la nature à l’époque et des océans en particulier: une sorte de “réservoir” assez mystérieux avec du bon (à manger!) et du mauvais, du nuisible…. Mais Cousteau a énormément évolué par la suite comme on le sait, témoin direct qu’il fut de la rapide dégradation des océans et de leurs ressources, et s’il n’a jamais tenté de justifier de tels actes il a affirmé qu’il ne suffisait pas de montrer ou d’explorer, il fallait très vite et le plus possible protéger et protéger encore; On doit voir là une prise de conscience (qu’il a voulu faire passer au plus grand nombre) que l’équilibre et l’intégrité des milieux naturels devenait de plus en plus dramatiquement précaire. Espérons aujourd’hui que sa voix ne s’éteigne, demeure dans nos mémoires et soit plus que jamais écoutée.

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