Yourself and Yours, de Hong Sang-Soo

Depuis 20 ans et avec près de 20 longs-métrages à son actif, Hong Sang-Soo décline le même thème à travers une série de films épatants qui pourrait lasser sur la durée si le réalisateur n’était devenu un véritable maître de la variation.

Chacune des ses œuvres est à la fois identique et différente. Par de subtils déplacements, l’univers du Coréen séduit constamment. Après le splendide Un jour avec un jour sans, il revient avec un drôle de marivaudage. Yourself and yours raconte une histoire très simple dans le sillage du cinéma d’Eric Rohmer. Mais un Rohmer excentrique qui aurait un peu trop abusé de liqueur alcoolisée. Si vous êtes allergique à l’auteur de Ma nuit chez Maud, ne vous abstenez pas pour autant. La filiation avec le cinéaste de la nouvelle vague se trouve moins dans la préciosité des dialogues et la direction d’acteur artificielle que dans la précision du trait et le souci du détail.

La boisson chez Hong Sang-Soo occupe toujours une place centrale. Et puis on y retrouve surtout et toujours : l’amour, ou plutôt le charme de la rencontre, de la première fois, instant aussi éphémère qu’inoubliable.

Young Soo, un peintre, vit avec Minjung qui a un léger penchant pour l’alcool. Par amour, elle a décidé d’arrêter. Enfin, d’arrêter, à sa manière. Elle lui a promis de ne boire que 5 bières et 2 verres d’alcools locaux par jour. Or, Young Soo  apprend par un ami qu’elle  s’est enivrée avec un homme et qu’elle s’est battue avec lui. Elle nie, lui jurant que ce n’était pas elle et décide de partir, en voyant qu’il ne lui fait pas confiance. Malheureux,  l’homme décide dès le lendemain de partir à la recherche de sa douce, et de lui pardonner, quitte à accepter qu’elle boive. Pendant ce temps, Minjung, ou sa sœur jumelle, rencontre d’autres hommes dans des bars.

Yourself and yours confirme la virtuosité tranquille d’un cinéaste remettant à plat l’idée conventionnelle que l’on se fait d’une grande mise en scène.  Ce n’est pas seulement des mouvements d’appareils complexes, une belle photo et un montage efficace.  Avec une étonnante économie de moyens, Hong Sang-Soo développe une histoire passionnante, drôle et mystérieuse, en étirant chaque plan séquence jusqu’à saturation, sans jamais donner l’impression d’exhiber un dispositif gratuit. Les cadrages n’ont rien d’artificiel, de poseur. Ils sont d’une désarmante simplicité. De même que les zooms peuvent surprendre sur le coup, effet anachronique dont le cinéaste tire le meilleur. Chaque saynète est exploitée jusqu’au point de rupture. Et en même temps, Hong Sang-Soo n’ignore nullement la force du hors-champs, laissant beaucoup de zones d’ombre et de non-dits à son intrigue. Curieusement, celle-ci se fraye un passage souterrain du côté de Vertigo d’Hitchcock et de Mulholland Drive. Minjung est-elle une mythomane chronique ou a-t-elle réellement une sœur jumelle ? Même si la première proposition semble davantage plausible, le réalisateur se garde de tout expliciter. Minjung peut aussi être perçue comme une joueuse, une romantique folle dingue. De même,  comment le peintre s’est-il cassé la jambe ? Ou encore, qu’en est-il du dernier tiers du film, terrassant de beauté ? Est-ce le fruit de l’imagination de Young Soo ou  de façon plus prosaïque  les retrouvailles entre les amants sont-elles réelles ?

Sans jamais nous perdre, gardant toujours la bonne distance entre émotion contenue et comique de situation, Hong Sang-Soo réalise au fond une magnifique histoire d’amour, animée d’une folie douce. L’auteur semble nous dire que l’amnésie (volontaire ou non)  est la seule condition absolue de l’amour. Ou du moins, la seule manière de maintenir l’illusion de la première rencontre, obsession récurrente (et même pathologique) de l’auteur de Haewon et les hommes. L’idée est belle, abordée avec un  sens aiguë  de l’ironie tout en dérivant vers le surnaturel, élément le plus troublant de cette comédie romantique.

Yourself and yours est aussi le portrait trivial d’une jeune femme libre (formidable Lee Yoo-Young), ne supportant pas les reproches, la morale, capable de mentir ou d’inventer un personnage pour éviter les redites et réinventer à chaque fois une situation nouvelle. Ce qui nous vaut des scènes d’une drôlerie inouïe écrasant sans problème toutes les comédies sorties en salles depuis des lustres. Cet aspect ludique n’est pas la moindre qualité de ce que je peux considérer comme le premier chef-d’œuvre de cette année. Comme l’an dernier avec Un jour avec un jour sans.

(COREE-2016) de Hong Sang-Soo avec Lee Yoo-Young, Kim Ju-Hyeok, Hae-hyo Kwon

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