Retour sur le FEFFS 2021

Last night in Soho, Edgar Wright

Cette année, Last night in Soho ouvrait le bal. Dernier long-métrage d’Edgar Wright, le film évoque l’histoire d’Eloise, une jeune femme anglaise passionnée par la mode qui parvient à revenir dans le Londres des années 1960 où elle rencontre Sandie. Passé et présent se mélangent dans ce thriller psychologique.

Difficile d’être emballé par les derniers films d’Edgar Wright. Baby driver manquait de consistance cinématographique et semblait briller uniquement par quelques plans-séquences ou par sa bande-son incroyable. Last Night in Soho se situe dans dans cette même veine.

Le personnage principal Eloise vit dans la campagne anglaise. Rêveuse, intéressée par la culture anglaise des sixties, elle veut faire une école de mode. Elle est prise dans un institut renommé de Londres où elle va pouvoir vivre son rêve. Très vite, elle veut devenir indépendante en louant une chambre chez une propriétaire âgée. Elle est timide et a du mal à partager des choses avec les autres étudiants, encore plus lorsqu’elle a des visions et se retrouve dans le Londres des années 1960 où elle va revivre la vie d’une jeune femme perturbée.

Il est impossible de ne pas être sous le charme du Swinging London lors des rêves d’Eloise car tout le film repose sur ce va-et-vient du personnage entre l’époque contemporaine et les années 1960 à Londres. La culture de cette métropole globale fascine le réalisateur qui la lui rend bien. Le problème est que tout le film repose sur cet élément et un sentiment de répétition des séquences domine en mettant de côté l’intrigue. Dommage, malgré la présence de Diana Rigg, ce dernier long-métrage d’Edgar Wright ne retrouve plus l’énergie et le brio de ses premières œuvres.

Belle, Mamoru Hosoda

Le sentiment inverse domine après la vision de Belle, la nouvelle œuvre de Mamoru Hosoda. Ce réalisateur commence à proposer une filmographie conséquente et essentielle : Summer Wars en 2009, Les enfants loups, Ame et Yuki en 2012, Le garçon et la bête en 2015 et Miraï ma petite soeur en 2018.

Belle raconte l’histoire de Suzu, une adolescente qui vit seule avec son père dans une petite ville rurale du Japon d’aujourd’hui. Dans le monde virtuel de U semblable à celui de Ready player one (Steven Spielberg, 2018), elle devient Belle, une icône musicale suivie par 5 milliards de personnes. Sa vie va changer lorsque son avatar rencontre la Bête.

Il est très difficile d’exprimer ici la situation d’enchantement dans lequel le spectateur s’est trouvé pendant deux heures. L’utilisation de l’animation en est certainement une raison. Les dix premières minutes sont incroyables. Elles servent à poser le cadre de cette histoire : présenter le réseau U dans lequel Belle est une star internationale. L’utilisation d’effets numériques et d’animations plus traditionnelles pour immerger le spectateur dans U est une expérience hors du commun que seule la salle de cinéma peut faire vivre. Quelle foison d’avatars en tout genre ! Que de couleurs !

Les plans plus fixes utilisés pour revenir à la réalité sont moins impressionnants malgré l’utilisation de prises de vue réelles mais permettent une description précise de la vie de Suzu, jeune lycéenne timide marquée par la mort accidentelle de sa mère. Le réalisateur alterne ces deux dispositifs pour faire passer le spectateur d’un monde à l’autre. Il esquisse une jeunesse qui utilise ces réseaux sociaux et pose plus généralement la question de la place du virtuel dans nos sociétés modernes.

Cette question est au cœur du film. C’est à travers U que le réalisateur recrée une version 2.0 de La belle et la bête. Belle va rencontrer la Bête. L’avatar de Suzu est une star internationale de musique reconnue par tous mais semble être une caricature des héroïnes des mangas où seul le physique et ses cordes vocales sont des atouts. L’héroïne utilise U (Toi ?) pour se créer une nouvelle identité, une diva au physique de rêve.

L’avatar de la Bête est plus intéressant. Il est à la fois puissant, violent mais révèle une sensibilité et une certaine vulnérabilité – il dissimule des blessures. Il pose la question de l’acceptation, de la tolérance sur les réseaux virtuels. Il est la proie des gardes de U, qui doivent gérer les relations dans ce monde imaginaire. Ce personnage est victime de censure et Belle tombe sous son charme.

Cette relation virtuelle entre Belle et la Bête va avoir des conséquences dans la vie réelle puisque Suzu, aidée par une amie hackeuse, va retrouver le jeune homme derrière cet avatar.

Loin des clichés sur les jeunes et les réseaux sociaux, Belle, par la virtuosité de son animation, propose une réelle réflexion sur notre utilisation du net et décrit un personnage principal féminin intéressant, plus complexe que ceux présents traditionnellement dans les mangas.

Violation, de Dusty Mancinelli et Madeleine Sims-Fewer

Œuvre canadienne de Dusty Mancinelli et de Madeleine Sims-Fewer sortie en 2020, Violation propose un travail très intéressant à l’ère du post #MeToo.

Le film semble avoir une histoire très simple. Une femme sur le point de divorcer rejoint sa sœur et son mari pour trouver un peu de paix. Une nuit, son beau-frère a un acte équivoque. S’enclenche alors une vengeance…

Classer ce film dans la catégorie Rape and revenge serait un peu trop simple car la mise en scène va au-delà de ce sous-genre de films bis. Le générique sous forme kaléidoscopique indique la façon dont le film est conçu : laisser le spectateur récréer l’histoire de cette femme dévastée par un viol qu’elle a subi. Le début du film met en avant la nature et la forêt avec de longs plans fixes. Une musique de nappes électroniques s’ajoute à cette atmosphère pour deux raisons : rappeler le lieu de l’horreur subie et le contraste entre cette magie du lieu avec la violence subie par le personnage principal.

Le spectateur comprend vite la détresse de cette femme qui ne trouve plus sa place dans son couple. Le film suit le point de vue de Miriam (interprétée par la réalisatrice) et il est essentiel pour comprendre le cheminement intérieur du personnage.

Les difficultés du couple de Miriam contrastent avec le bonheur de celui de sa sœur et de son beau-frère. La jeune femme se confie et discute avec eux. Le weekend passé avec eux semble avoir été très positif mais il n’en est rien. La construction en puzzle du film montre la souffrance de la jeune femme qui a tu ce qui s’est passé lors d’une soirée au chalet de ce couple modèle. Ce dispositif est une des forces du film et une clé de compréhension essentielle.

Le retour sur la scène de viol est insoutenable par sa banalité et sa mise en place. Cette scène semble anodine puisqu’elle se déroule en fin de soirée. Les jeunes gens se rapprochent près du feu. Miriam embrasse Dylan qui veut aller plus loin…ce qui n’est pas le cas de la jeune femme. Par ce female gaze, le spectateur saisit très bien le problème et la réaction terrible du jeune homme qui a envie de faire l’amour sans lui demander. La caméra filme à ce moment-là un gros plan de Miriam qui a la larme à l’œil.

La victime essaie ensuite de discuter avec Dylan qui ne comprend pas la situation. La détresse de la jeune femme dure depuis plusieurs jours et prend de plus en plus de place…au point qu’elle tendra un piège à son beau-frère.

La dernière scène semble faire sens. Miriam n’arrive pas à évoquer son mal-être qui détruit son couple et brise sa vie. Le plan sur ses larmes qui coulent sur son visage est clair. Il fait référence à celui proposé lors de la scène de viol. La boucle est bouclée. Le spectateur a assisté à la colère d’une femme blessée qui a imaginé tous les stratagèmes possible pour dépasser sa souffrance indicible. Puissant film féministe.

Un samedi pas comme les autres

Placé sous le signe de l’animation, ce samedi fut riche en émotions cinématographiques. Le programme était copieux : Junk head, Mad God et enfin le documentaire Satochi Kon, l’illusioniste.

Junk Head, Takahide Hori

Produit par UFO, Junk head est un film incroyable dont le projet initial a débuté à la fin des années 2000. Takahide Hori est un réalisateur autodidacte et polyvalent qui a démarré ce projet de SF seul puis en petite équipe.

Dans un futur lointain, la Terre est dominée par des machines et des mutants. Les humains ne peuvent plus se reproduire. Pour résoudre ce problème, les humains envoient un androïde qui va devoir faire face à des créatures monstrueuses.

Film d’animation en volume, Junk head provoque un réel plaisir pour le cinéphile. Il est difficile de ne pas être subjugué par l’univers SF présenté ici où l’animation est entièrement faite sans effets spéciaux numériques. Les villes sont toutes construites en hauteur et les hommes n’ont plus de connexion avec la Terre.

Sans musique, sans paroles, le réalisateur japonais parvient à ce que le spectateur s’identifie à cet androïde perdu qui doit faire face aux divers monstres, autant de références aux œuvres de Jérôme Bosch ou de HR Giger. La fluidité de l’animation rend l’histoire crédible et touchante.

Il est difficile d’imaginer le travail pour plonger le spectateur dans ce monde SF effrayant. Les dernières scènes du film présentent le travail titanesque de Takahide Hori qui a construit plusieurs plateaux pour la mise en scène de l’histoire.

Mad God, Phil Tippett

La deuxième œuvre va encore plus loin. Mad god est un cauchemar mettant en scène un personnage qui va évoluer dans une sorte d’enfer pendant plus d’1 h 20. Une légende des effets spéciaux est aux commandes de ce projet un peu fou : Phil Tippett en personne. Star Wars, Piranhas, Indiana Jones et le temple maudit, Robocop, Willow, Jurassic Park ou Starship troopers, tous ces films ont été animés par le réalisateur américain qui avait ce projet en tête depuis la fin des années 1980. Aidé par des amis, il va enfin faire aboutir son travail et sortir son film dont la première projection a lieu au festival de Locarno en août 2021.

La technique principale utilisée pour ce projet est la stop motion. Une cloche de plongée traverse le ciel et dépose un assassin qui traverse un monde effrayant peuplé de monstres horribles. Les premiers effets spéciaux sont touchants : les canons qui tentent de viser la cloche rappellent ceux de Star Wars. La signature de Tippett est bien présente.

Il est difficile de ne pas être admiratif devant tant de travail. Le réalisateur utilise la stop motion pour l’animation mais n’hésite pas à utiliser des prises de vue réelles afin de montrer une opération bien sanglante par exemple ou des rétroprojections pour évoquer le monde traversé par le personnage.

Cette œuvre totalement personnelle tend vers le film expérimental car progressivement le spectateur perd complètement la notion de narration et seules les images semblent se répondre les unes aux autres. Pied de nez face aux blockbusters hollywoodiens actuels qui n’utilisent plus la stop motion ? Certes mais Mad Dog prouve que l’originalité est possible dans un milieu cinématographique plutôt formaté et en manque d’inspiration depuis 20 ans.

Dernier bijou visionné l’après-midi, Satochi Kon l’illusionniste est un documentaire  réalisé par Pascal-Alex Vincent. Il est très intéressant car il cerne à merveille le mangaka décédé trop rapidement à 46 ans en 2010.

Le Japon a connu bien des maîtres de l’animation comme Hayao Miyazaki, Katsuhiro Otomo, Mamoru Hosoda. Satochi Kon fait partie de ceux-là. Les différentes personnes interviewées reviennent sur la carrière d’un génie.

Perfect blue (1997), Millenium actress (2001), Tokyo Godfathers (2003) et Paprika (2006) sont les quatre œuvres principales évoquées au fur et à mesure dans le  documentaire.  Ces quatre anime sont analysés et montrent les principaux thèmes abordés par Satochi Kon : la volonté de mélanger réalité et rêve dans Perfect blue et Paprika, celle de mixer passé, présent et futur  dans Millenium actress. Il veut aussi évoquer un autre point de vue sur Tokyo à travers son troisième animé, où un groupe de SDF recueille un enfant abandonné. C‘est pour lui l’occasion de montrer une des principales mégalopoles à travers le point de vue des exclus de la mondialisation.

Perfect blue a marqué les critiques et le public dans les années 1990 car il proposait un scénario qui s’inspire des meilleurs films de Hitchcock ou de De Palma. Les propos de ce film sont encore actuels avec le développement des réseaux sociaux et la frontière qui devient de plus en plus ténue entre réel et virtuel.

Beaucoup d’émotion ressort des interviews des anciens collaborateurs de Satochi Kon. On comprend aussi qu’il était très exigeant envers eux.

Difficile de ne pas avoir envie de se replonger dans les classiques de l’animation (peu importe la technique) après une telle après-midi. Un travail titanesque pour un réel plaisir cinéphile ! Pour poursuivre, on pourra se plonger dans le livre de Julien Sévéon : Satoshi Kon – rêver la réalité. Disponible chez Cinexploitation, l’ouvrage retrace la carrière du réalisateur mais évoque également ses mangas et ses travaux pour la télé.


Nuit excentrique

Samedi 18 septembre 2021, la tant attendue Nuit excentrique a lieu ! Deux ans que 250 zozos strasbourgeois attendaient ça – moi y compris. Une drôle de soirée !

Ce rituel n’aurait pas la même saveur sans la présence de Jean-François Rauger, directeur de la Cinémathèque française. Il prend un malin plaisir à présenter ces mauvais films sympathiques et les bande-annonces incroyables de productions cinématographiques des années 1970 et des années 1980 – Hulk II, Ces flics étranges venus d’ailleurs de Philippe Clair…

Cette année, le thème était « monstres gigantesques » et c’est parti pour 3 films en 35 mm. Le premier était Yéti le géant d’un autre monde de Gianfranco Parolini (1977). L’industriel Morgan Hunnicut demande au professeur Wassermann de diriger une expédition pour étudier la créature gelée retrouvée dans un bloc de glace à l’apparence très étrange…

Yéti, le géant d’un autre monde

Véritable nanar, il est difficile de ne pas rire devant cette production italienne improbable qui s’est largement inspiré de King Kong pour le scénario et les séquences. La réalisation est plutôt correcte mais l’intégration du yéti à l’histoire n’est pas du tout crédible. Faut-il préciser que Mimmo Crao – l’acteur qui incarne le monstre – est affublé d’un déguisement ridicule composé d’une combinaison de poils très bien peignés. Il semble sortir d’une publicité pour un shampoing à chaque gros plan. Son jeu binaire doit certainement jouer dans le ridicule du film : cocker aux yeux tristes lorsqu’il essaie d’être gentil avec les enfants et les femmes, Bruce Lee hurlant lorsque les hommes armés s’en prennent à sa personne. De plus, on ne sait jamais la taille que fait ce yéti lors de plusieurs scènes du film. Fait-il 10 mètres, 20 mètres ou 50 mètres ? Personne ne le sait. En tout cas le public a ri à gorge déployée dès qu’apparaissait ce personnage improbable.

Le deuxième film était d’un autre acabit. Les monstres des planètes d’Ishirô Honda est sorti en 1966. Ce film de kaiju a une histoire simple. Un monstre échappé d’un laboratoire terrifie les côtes du Japon. Il va vite faire face à un autre kaiju et les deux vont se livrer à des batailles dantesques.

Impression étrange après la vision de ce film japonais réalisé par le père de Godzilla. Le film correspond très bien au programme de monstres géants un peu ridicules. Les deux rejetons de la science ont des aspects improbables plutôt drôles : deux humanoïdes de 50 mètres de haut à poils pour l’un, d’écailles ou de rochers pour le second. Passés ces physiques et la VF, le film est un mélange d’enquêtes et de combats. Il a un aspect sérieux avec une bonne réalisation et la mise en place d’effets spéciaux plutôt réussis lors des affrontements incessants entre les deux. Un sentiment d’ennui s’est déployé tout au long du film qui avait peu d’intérêt au final.

Le troisième film était plutôt intéressant. Grizzly est sorti en 1976. C’est un film de William Grindler plutôt connu dans le milieu du cinéma bis comme le sont Lee Frost ou Jack Starret. Il a réalisé Abby notamment.

Après le meurtre de deux campeuses à Yellowstone, la population locale est en émoi. Les autorités ne parviennent pas à identifier le meurtrier. Un grizzly serait responsable des ces horreurs.

Tourné en Georgie alors que l’action est censée se passer à Yellowstone, le générique étrange met en avant un discours sur la préservation de la nature puis enchaîne sur la musique d’un film familial à la Disney. Finalement le titre Grizzly annonce du grabuge avec la présence de cet animal dans ce cadre magnifique.

Le personnage principal est le garde du parc incarné par Christopher Georges (présent dans de nombreux westerns et chez Lucio Fulci). Il doit faire face à l’administration et plus particulièrement à son chef qui refuse de fermer Yellowstone alors que les attaques du monstre se multiplient.

Véritable Jaws dans une forêt, ce film est plutôt spectaculaire, sanglant et bien réalisé. Il y a de nombreux parallèles avec Les dents de la mer. Très souvent, le spectateur a le point de vue du mammifère notamment lors des attaques contre les campeurs de la réserve. Ceux-ci sont vite pourchassés et le film nous offre alors un peu de gore avec des blessures, des têtes coupées et des membres arrachés !

Les prises de bec entre le garde et son supérieur sont évidemment des références à l’exaspération de Brody par rapport à l’attitude du maire d’Amity Island, prêt à tout pour attirer les touristes dans sa station balnéaire.

Un bémol à ces références : la fin qui est une copie littérale du film de Spielberg. Elle tend à rendre ce film nanardesque avec aussi les voix françaises grotesques.  Grizzly II était en cours de production dans les années 1980 avec Charlie Sheen, Laura Dern et George Clooney. Le tournage devait avoir lieu en Hongrie. La production a été interrompue. Avis aux amateurs : le film se trouve sur le net

Soirée excentrique ? Certes mais pas comme on pouvait l’entendre habituellement. Mise à part la production italienne, les deux autres longs-métrages sont de réelles découvertes et curiosités cinématographiques. Dès 6 heures du matin, le public avait hâte d’être à l’année prochaine.

Master class et Le jour de la bête

Alex de la Iglesia était l’invité d’honneur au FEFFS cette année. Il s’est entretenu avec Gilles Penso de l’Écran fantastique. L’entrevue démarre par un medley de tous ses films. Quel plaisir de revoir tous ces extraits !

Le jour de la bête, Alex de la Iglesia

Le journaliste revient très vite sur sa carrière. L’Espagnol a démarré le cinéma car il était jaloux d’un ami. Son histoire a un aspect universel : l’être humain est un être de concurrence, il a une façon bizarre de voir les choses mais les humains se comportent comme des animaux. Pour lui, le cinéma présente cela au spectateur sous forme de mythologie.

Son premier long-métrage est Action Mutante produit par Pedro Almodovar himself ! Le réalisateur narre quelques anecdotes plutôt drôles tant ce premier long-métrage a été difficile à se mettre en place (il a commencé à travailler à la TV, il était peu payé, des années de galère qu’il a néanmoins appréciées…). Pedro Almodovar a aimé le premier court qu’il a tourné. Il a pu ainsi commencer à travailler avec lui. Il a gagné un prix pour ce court-métrage et a pu régler des dettes accumulées. Il raconte également que le travail avec le grand réalisateur espagnol ne s’est pas fait facilement…

Gilles Penso propose ensuite des extraits qui révèle un thème très présent dans les films du réalisateur espagnol : la religion. Alex de la Iglesia rappelle qu’il est né à Bilbao, ville très catholique. Son père allait à la messe tous les jours. La religion est essentielle pour lui. Tout ce qui n’a pas d’explication passe par la religion.

Ensuite il rappelle différentes influences qui ont compté pour lui : le cinéma fantastique et le cinéma d’horreur qui ont du caractère selon lui ! L’horreur passe par l’image et pour lui, le cinéma est avant tout des images et du mouvement. C’est aussi le cas pour la comédie. Il explique que les films d’horreur sont les repères des meilleurs réalisateurs. Pour lui, le « Théodore Dreyer » actuel est Ari Aster l’auteur d’Hérédité et de Midsommar. Il aime également Mandy, film hallucinant du fils de George Cosmatos (Rambo 2) montré au FEFFS il y a quelques années. Il rappelle qu’il fait des films mais qu’il n’en regarde pas trop. Trop de modestie, au vu des références faites dans tous ses films !

Pour de la Iglesia, la création d’un film passe avant tout par le story board et concept design avant de se tourner. Il est extrêmement utile de passer par le dessin et c’est une façon de s’engager dans une voie. Tout le monde a des idées et il est difficile de les transmettre par d’autres moyens.

Un autre motif essentiel de son cinéma est mis en avant par Gilles Penso : le vertige ou des personnages qui tombent. La référence immédiate est celle d’Hitchcock. Pour lui, c’est le meilleur réalisateur qu’il est difficile de dépasser : il arrive à faire converger images et histoire notamment en hauteur où la vérité se trouve (La mort aux trousses par exemple).

Il rappelle que les scènes d’action sont compliquées à faire mais qu’elles fonctionnent. Gilles Penso montre au public un plan du Crime farpait : un travelling arrière très fluide fait avant la généralisation du numérique. Le film est un hommage à Alfred Hitchcock. Pour cette mise en scène, il a fait construire une grue de trente mètres. L’immersion est incroyable.

Gilles Penso rappelle que des plans-séquences de plus deux minutes sont présents à plusieurs reprises dans sa filmographie. Ce procédé est intéressant sur le plan virtuose mais aussi sur le plan narratif : le premier plan au début du Crime d’Oxford montre tous les indices pour comprendre l’intrigue. Il a la volonté de souligner un moment important.

Veneciafrenia

A la fin de l’entretien, Alex de la Iglesia propose de montrer en avant-première des images de son prochain film, un slasher appelé Veneciafrenia ! Nous assistons à une très belle scène de meurtre à Venise (un assassinat au couteau sur un bateau empli de touristes). Il a voulu mettre en avant une idée simple de notre société de consommation : des touristes idiots tués par des défenseurs de la culture omniprésente à Venise.

Alex de la Iglesia a présenté son cinéma de manière dynamique et chaleureuse. S’ensuit la projection d’un de ses films les plus emblématiques, Le jour de la bête.

Le prêtre Angel Beriartua est parvenu à déterminer le jour de la naissance de l’Antéchrist. Selon le message tiré du de l’Apocalypse de Jean, l’Antéchrist naîtra le 25 décembre 1995 à Madrid, ville au cœur de tensions sociales exacerbées. Aidé par un fan de death métal, il va tout faire pour trouver l’endroit de cette naissance. Il pense pouvoir faire réussir sa quête à l’aide du professeur Cavan, escroc au succès incroyable à la TV espagnole.

Classique des années 1990, un peu oublié et réédité en 2021 grâce à Extralucidfilms, cette œuvre illustre parfaitement les éléments du cinéma du réalisateur espagnol évoqués durant la master class de ce dimanche après-midi. Ce road movie rassemblant des personnages sans lien apparent a obtenu deux Goya largement justifiés en 1996.

L’institution ecclésiastique est écorchée dès le départ avec la présentation du personnage principal, un prêtre à la figure candide. Cela le mettra sur la route d’un amateur de métal avec qui il va tout faire pour rencontrer le professeur Cavan, superstar de la TV en Espagne dans cette fiction bien ancrée dans les nineties.

Cette réunion de personnages dignes des meilleures comédies emmène le spectateur dans un tourbillon de gags et de situations hilarantes en tous genres. On peut notamment évoquer les moments dans l’auberge de jeunesse ou l’invocation du diable dans l’appartement très luxueux du professeur Cavan, charlatan de l’occulte. La comédie côtoie le thriller et le film à suspense. Alex de la Iglesia rend hommage au travail d’Hitchcock : les personnages tentent de s’échapper de l’appartement de Cavan recherché par la police et se retrouvent devant la façade de l’immeuble où se trouvent des écrans géants de publicité. Les personnages côtoient le vide mais à la différence des films de Hitchcock ils sont aussi proches de la bêtise, de l’absence de réflexion (la publicité et le système des médias plus généralement dénoncé dans le film).

Le groupe traverse tous les pans de la société durant ce road movie dynamique. Ils se retrouvent dans les bars / boîtes de nuit underground de Madrid, rencontrent de manière lointaine des groupes fascistes qui s’en prennent aux sans-abris mais aussi le milieu de la TV à travers la chaîne qui soutient le professeur Cavan, sorte de parodie d’une chaîne de Berlusconi…à peine exagérée.

La quête de l’Antéchrist semble être le fil rouge mais échappe également au spectateur : assiste-t-on à une pochade ? Est-ce une simple quête du prêtre qui remet ses convictions en question ? Il n’en est rien. Le trio va faire face au Mal absolu en chair et en os. Il en ressortira libéré et en quête d’une nouvelle vie comme l’indique le travelling final tourné dans un bain de lumière loin des ténèbres espagnoles  traversées durant 90 minutes.

Rétrospective

Cette année, le FEFFS proposait une rétrospective intéressante « fêtes foraines ». Les fêtes foraines ont souvent inspiré les réalisateurs de films de genre de Freaks à Zombieland. Deux longs-métrages méritaient un éclairage particulier : Docteur Jekyll et Sister Hyde ainsi que Massacres dans le train fantôme.

Le premier est un film réalisé par Roy Ward Backer, connu pour son travail à la TV et à la Hammer. Cette adaptation de la nouvelle de Robert Stevenson est vraiment un film en avance sur son temps.

Dr Jekyll et Sister Hyde, de Roy Ward Baker

Londres, fin du XIXème siècle : le docteur Jekyll s’isole de plus en plus et mène des recherches pour trouver des remèdes à des maladies. Cet isolement intrigue ses voisins et son mentor scientifique, d’autant plus que des jeunes femmes du quartier sont assassinées.

Film étonnant et plutôt bien réalisé (la reconstitution de Londres est plutôt sérieuse et réussie), il propose une réflexion sur le genre de manière générale. Le spectateur comprend très rapidement que le docteur Jekyll est une sorte de Jack l’Eventreur qui va tuer de jeunes femmes pour répondre à un objectif  précis. Il va en effet utiliser des hormones féminines pour vivre plus longtemps et avoir plus de temps pour travailler sur ses recherches.  Cependant cette fusion de deux personnages célèbres va aboutir à une réflexion intéressante sur l’identité de ce personnage principal : à force d’utiliser des hormones féminines, le docteur Jekyll devient Sister Hyde.

Le film devient alors une étonnante variation sur le désir d’être un(e) autre et ainsi a un écho avec l’actualité où cette question prend de plus en plus de place. La nouvelle identité sexuelle du docteur lui offre de jouir d’un corps tout neuf et de tester son pouvoir de séduction auprès des hommes.  Ce jeu de passage de l’un à l’autre personnage permet aussi de cacher l’identité du meurtrier auprès des personnages qui côtoient ce docteur fuyant, absent. C’est aussi un moyen de mettre en avant la beauté androgyne du mannequin Martine Beswick, ancienne James Bond girl. Troublante et sensuelle, arborant des robes rouges, elle prend le relais de son pendant masculin pour accéder à la vie éternelle en tuant elle aussi de jeunes femmes.

Improbable croisement de film policier et de film d’horreur, le film parvient à dépasser la censure de l’époque en respectant les attentes des spectateurs avides de sensations au début des années 1970. 

Funhouse, de Tobe Hooper

Véritable joyau proposé par le FEFFS cette année dans le cadre de la rétrospective « Fêtes foraines » , The fun house aka Massacres dans le train fantôme fut l’une des belles curiosités à revoir cette année et ce pour plusieurs raisons.

Tobe Hooper propose un nouveau tableau des USA en ce début des années 1980. Deux jeunes couples d’amis se rendent à une foire installée en périphérie d’une petite américaine. La soirée dérape lorsque les quatre jeunes décident de passer la nuit dans le train fantôme.

Massacres dans un train fantôme est aujourd’hui un classique. Cela n’a pas toujours été le cas car le film a été un échec critique et commercial. L’introduction est pourtant très intéressante : un petit homme masqué s’introduit dans une salle de bains pour s’en prendre à une jeune femme. Ce début, qui parodie Halloween ou Psychose, évoque un des principes essentiels du cinéma : l’illusion.

Le réalisateur propose une réelle réflexion en nous amenant dans une foire, haut lieu de l’illusion et de la peur qui attire très fortement la jeune Amy. Freak show, train fantôme, grand 8, tous ces éléments apportent des sensations à ces jeunes gens qui en veulent toujours plus au point de décider de dormir dans le train fantôme. Ils découvrent une réalité terrible présente dans ce lieu de loisirs : il abrite une famille dégénérée. Parmi celle-ci, il y a un freak muet qui garde un masque de Frankenstein. Rick Backer conçoit pour ce personnage un moulage monstrueux qui recouvre le visage de l’acteur Wayne Doba, mime et danseur professionnel. Il incarne à la perfection cet être solitaire, malheureux qui va s’en prendre à des jeunes gens de son âge.

Ce tueur qui va frapper dans ce carnival est bien à l’opposé des serial killers présents dans les slashers à la mode depuis Halloween et Vendredi 13. Le masque du monstre de Frankenstein n’est pas anodin. Les deux monstres recherchent de l’affection, ils sont anonymes et tous deux tuent accidentellement ou du moins en réponse à une agression, par un manque de maîtrise de soi. Tobe Hooper montre beaucoup d’empathie pour son monstre notamment lors de la scène cruciale avec madame Zena.

Les dialogues entre le forain et son fils monstrueux montrent qu’ils entretiennent une relation ambiguë, située entre amour et haine. Le père qui semble dépassé par ce qui lui est arrivé. Tobe Hooper dépeint comme dans ces films précédents la famille américaine comme étant dysfonctionnelle, un peu similaire à celle de Massacre à la tronçonneuse.

Le réalisateur prend son temps pour plonger le spectateur dans l’ambiance glauque de ce « carnival ». Le rythme est plutôt lent et va à l’encontre des films en vogue à l’époque où le gore et le sensationnel dominent. Il réussit admirablement ceci en adoptant le point de de vue d’Amy et de ses amis qui découvrent au fur et à mesure le lieu parsemé de personnages inquiétants tant réels (le tueur) qu’imaginaires (les freaks dans des bocaux, la poupée gonflable qui rit durant tout le film…).

Comme Massacre à la tronçonneuse, le réalisateur conclut brillamment son film. Un plan à la grue insiste sur la foire désertée et le personnage d’Amy perdue, apeurée après la nuit en enfer qu’elle vient de vivre. Un sentiment de solitude l’habite.

Tobe Hooper illustre une nouvelle réflexion sur le rêve américain incarné par le programme présidentiel de Ronald Reagan. Ce film est une critique incisive de la société américaine intolérante, divisée et dont la famille ne peut plus être un ciment social. Une œuvre à redécouvrir d’urgence !

Spectacles époustouflants

Deux films ont profondément marqué le spectateur pour plusieurs raisons durant cette 14ème édition : Europa et After blue.

Europa, Haider Rashid

Production italo-irakienne réalisée par Haider Rashid et sortie en 2021, Europa évoque le parcours d’un migrant irakien qui se retrouve perdu et traqué sur la frontière turco-bulgare.

Le principe est simple : suivre le parcours très difficile d’un migrant aujourd’hui grâce à une caméra portée. L’aspect technique peut déstabiliser certains spectateurs mais il parait essentiel pour comprendre la vie du jeune homme.

Le film fait référence aux Chasses du comte Zaroff ou Délivrance mais il va au-delà. Le spectateur est immergé dans la vie du jeune homme, pris au piège à la frontière aux confins du sud-est de l’Europe. Dès le début du film, on assiste impuissant aux manigances des passeurs. Ils soutirent de l’argent à une population prête à tout pour avoir une vie meilleure. De longs travellings montrent le personnage principal courant à travers la forêt, se cachant pour échapper aux mercenaires bulgares qui traquent tous les migrants. Les gros plans et les différents plans poitrine permettent de rendre compte de la douleur ressentie par le migrant irakien. Des sueurs froides s’emparent du spectateur : le film va-t-il devenir une nouvelle sorte de Funny games ? Les dés semblent déjà jetés.

On reste accroché à son siège. Fiction et réalité se rejoignent. Le film décrit tout bonnement une certaine réalité politique et sociale face à laquelle les spectateurs et plus généralement les pays européens semblent impuissants. L’auteur pose également la question du pouvoir de l’UE à régler les situations complexes des migrants dont les vies semblent menacées par diverses formes de violence.

After blue (paradis sale), de Bertand Mandico

After blue (dirty paradise) propose une esthétique qui laisse le spectateur sans voix avec des étoiles plein les yeux.

Il est nécessaire de comprendre que Bertrand Mandico propose une travail unique et essentiel dans le cinéma français aujourd’hui. Il a réalisé de nombreux courts-métrages que vous pouvez revoir dans dans les deux Mandico Box édités par Malavida. Son premier long-métrage, Les garçons sauvages sorti en 2018, avait déjà fait grand bruit en convoquant les œuvres de Jean Grémillon, William Golding, Shuji Terayama ou Walerian Borowczyk. Récit d’initiation pour ces garçons qui deviendront des femmes, il marqua le spectateur par son esthétique rétro, sa sensualité, sa poésie et sa liberté. Les ingrédients sont les mêmes pour After blue.

Dans un futur lointain, sur une planète sauvage, Roxy est une adolescente qui décide de délivrer une criminelle ensevelie sous les sables. Une fois délivrée, cette dernière sème la mort. Roxy et sa mère sont rendues responsables et sont bannies de leur communauté. Elles doivent traquer la meurtrière et pour cela elles vont arpenter les terres de la planète After blue, paradis sale.

Dès le départ, une narratrice emmène les spectateurs dans une œuvre complexe à expliquer tant Bertrand Mandico aime l’hybride, le mélange des genres et ce sur plusieurs niveaux.

Le film est inclassable. Cette épopée SF tend également vers le western, et l’héroïc-fantasy, des genres déjà mis en avant dans Ultra-Pulpe par exemple. Les hommes n’existent plus dans cet univers, tout comme la Terre qui a disparu. After blue a remplacé notre planète et les femmes ont remplacé les hommes. Les normes viriles ont été bafouées dans ce film hybride : les sacs à main Gucci ou Paul Smith sont des armes, la sexualité est réinventée à coups d’inséminations, d’androïdes tentaculaires et de semences de toutes les couleurs.

La planète est plus généralement un territoire marquée par le sexe tout comme l’était l’île des Garçons sauvages. Bertrand Mandico réinvente tout un monde où les sexes sont mélangés (faune, flore, androïdes, femmes androgynes). L’aventure vécue par les deux héroïnes va permettre au spectateur de découvrir ce monde incroyable.

Et pour cela, le réalisateur utilise tous les éléments possibles de mises en scène comme il l’avait fait dans son opus précédent. Visuellement le film est incroyable. Couleurs, effets de montage avec de magnifiques surimpressions, rétroprojections, décors, musique de Pierre de Desprats. Le film marque par son empreinte poétique un spectateur sous le charme qui ne peut qu’approuver la réflexion proposée par le réalisateur sur l’hybridité.

Le film se termine par une touche d’espoir qui vient des femmes qui seront l’essence même d’une nouvelle planète où tout être vivant sera heureux. La sortie de ce film au même moment que la nouvelle mouture de Métal Hurlant n’est pas un hasard et c’est tant mieux. Bertrand Mandico parvient à insuffler cet esprit de Métal Hurlant dans son nouveau long-métrage et ne laissera personne indifférent devant cette profusion d’idées, d’émotions et de sensations qui forme une œuvre tout à fait à part dans le cinéma français. 

After blue (paradis sale) de Betrand Mandico
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