Inception, de Christopher Nolan

Inception : l’inquiétante normalité des fantasmes de Christopher Nolan

L’inconscient est-il structuré comme un blockbuster ?

Imaginez que l’on puisse pénétrer et modifier les rêves d’autrui pour y dérober leurs secrets les plus intimes. Dom Cobb est le meilleur sur le marché, mercenaire du monde sans pitié dangereux de l’espionnage industriel. Pris entre la pression de ses commanditaires et sa condition de fugitif recherché par les polices du monde entier, ce qui lui interdit de retrouver ses enfants restés aux états-unis, Cobb va être obligé d’accepter une mission particulièrement risquée, de réaliser ce que tous considèrent comme impossible : l’inception – plutôt que de voler un souvenir à sa cible, l’héritier d’un gigantesque groupe industriel, il va devoir recruter une équipe de spécialistes du piratage onirique pour implanter une idée dans l’esprit de ce dernier pour le pousser à démanteler l’empire de son père.

Alors, il pourra retrouver ses enfants et cessera d’être traqué.

À condition que ses propres fautes, ses propres doutes, son propre inconscient ne le trahissent pas : les secrets de Cobb, qui lui valent d’être poursuivis dans le monde réel et le harcèlent dans le monde des rêves, incarnés par Mall, son ex-femme qui s’acharne à essayer de le perdre…

Cette fois, s’il ne parvient pas à les maîtriser, il restera prisonnier de ses fantasmes.

Inception est un film de braquage dans un cadre de science-fiction. Chaque personnage de l’équipe recrutée par Cobb à donc un rôle précis et des compétences complémentaires, comme dans tout bon film du genre : l’extracteur (Cobb, joué par Léonardo DiCaprio) qui organise le récit dans le rêve de sa cible afin de lui voler ses secrets, l’organisateur qui gère la logistique dans le monde réel, l’architecte qui construit les décors dans lesquels l’extracteur pourra piéger la cible, le faussaire capable d’incarner n’importe quel rôle dans le monde des rêves, le chimiste qui fournit les drogues nécessaires au piratage de l’inconscient de la cible. Puis le touriste, financier de l’opération qui s’invite dans l’équipe, l’ombre (Mall, jouée par Marion Cotillard), ex-femme de Cobb qui vient perturber dangereusement son travail, qui incarne le terrible secret de ce dernier et, enfin, la cible, qui bénéficie ici d’un véritable rôle et d’une réelle personnalité.

On peut faire un parallèle entre ces personnages et une équipe de tournage (du réalisateur-scénariste à l’acteur en passant par la décoratrice/responsable des effets spéciaux). Inception met en effet en scène la construction d’un récit, la fabrication d’une histoire : les braqueurs vont s’emparer de l’histoire familiale de leur cible, manipuler ses conflits intérieurs pour changer son état d’esprit en lui imposant une narration cohérente, en lui proposant une fiction qui lui permettra de résoudre de manière satisfaisante ses rapports avec son père.

Inception est donc l’histoire de la façon dont on raconte une histoire au cinéma. Et de même nous sommes, nous les spectateurs, les cibles du récit que nous propose Nolan.

Reste à savoir quel genre de récit on va nous raconter. Nolan est ici à la fois scénariste, réalisateur et producteur : en regardant Inception on se dit que le producteur voulait fabriquer un film d’action hollywoodien, le scénariste un film de science-fiction basé sur ses obsessions sur le passé qui ne passe pas, et que le réalisateur voulait construire un récit efficace, une narration bien rodée sans pour autant tomber dans ses habitudes manipulatrices de type Memento ou Le Prestige.

Et vous savez quoi, ils y sont parvenus.

Dommage.

13 commentaires sur “Inception, de Christopher Nolan”
  1. Un grand merci de cette analyse que je partage complètement. Les notes mises sur IMDB et allociné montrent que pour plaire au grand public il ne faut surtout pas prendre trop de risques. Un beau casting avec “les grands du moment”, une touche fantaisiste pour le scénario (chiadé mais qui n’invente pas grand chose) mais, surtout pas de folie, ni d’effet un peu osé (“gore”…).
    Bref, encore une déception, Dick n’est toujours pas représenté dignement… Je m’en retourne voir mes Cronenberg 🙂

  2. La musique castre le film aussi, comme le fait remarquer Jacques, on a l’impression que Nolan avait peur de ne pas en faire assez et donc il en a fait un peu trop – mais sans prendre de risques.
    Le concept est intéressant, mais il n’est pas traité de façon intéressante. Personnellement, le film m’a donné envie de revoir “Total Recall” – on peut dire que la fin d'”Inception” y fait énormément écho.

  3. Petite précision, pour ceux qui m’ont fait la remarque, et les autres – quand j’écris : « Cobb qui explique à son architecte que les mondes oniriques doivent être réalistes pour tromper la vigilance de la cible visée : Nolan n’a-t-il donc jamais rêvé ? Où a-t-il donc été chercher que les rêves sont vraisemblables, que ce soit visuellement ou au niveau de la narration ? », je n’oublie pas que cette impératif est justifié dans le film, je conteste cette justification.
    L’idée est que, pour que la cible ne soit pas sur ses gardes, elle ne doit pas se rendre compte qu’elle est entrain de rêver… Parce que, c’est bien connu, quand on se rend compte qu’on rêve (un truc qui arrive tous les jours), on est vachement plus vigilant que dans la réalité… N’importe quoi…
    On me dira : mais ceux qui sont entraînés à résister au piratage onirique, hein ? Eh bien, je pense que le fait que des hordes de type en armes canardent tous les inconnus qui essayent de leur parler de trucs bizarres est suffisant, non ? Remarquez, vu que la réalité est le cadre des mêmes scènes d’action que les rêves, c’est pas certain…
    Non, en fait, le principe de la vraisemblance des rêves n’est aucunement nécessaire à la logique des conceptions science-fictives exposées par les personnages. Elle n’est nécessaire qu’à la logique du film Inception, à sa structure de film-d’action-avé-des-explosions… C’est une manifestation de la tendance au contrôle de Nolan, une pure arnaque scénaristique pour ne pas avoir à se coltiner la puissance, la richesse et l’excès du rêve.

  4. Vu hier soir. Pas si mal. Bon, je l’aurai bien appelé Mission impossible IV, version subconscient. Y a tout, recrutement, le timing infernal, l’hsistoire d’amour impossible. Quelques bonnes scènes bien troussées, mais d’autres bien craignos ! l’architecte qui découvre ce que c’est que l’escalier paradoxal, on y croit pas trop (j’ai du voir le dessin en 4ème, à peu près). Mais je reste indulgent, car ils n’avaient pas la casquette à l’envers comme dans les Emmerich. Essentiel pour ne pas fuir au bout de cinq minutes.

  5. Je suis en gros d’accrod avec toi mais la fin quand meme : moi ça m’a donné des frissons dickiens, parce qu’il se reveille pas et du coup ça donne tout une autre dimension au film.

  6. C’est bizarre, pour ce nième film sur le rapport réalité – fiction, qu’on se retrouve strictement dans la tête à Nolan. Avec, sur chaque scène, tamponné en gros et en rouge : “fantasme de réalisateur hollywoodien”… Je ne comprends toujours pas que ces blockbustereux qui prétendent nous causer du rêve aient au final si peu de considération pour le réel. Leur vision du monde est archétype, structure, fil de fer, scénario, décor. A la fois vide de tout ambition et complètement nombriliste.
    Si c’est ça le cinéma, je préfère les drogues dures.

  7. Attention : ici, on SPOILE

    Ah, ah, la question-qui-tue : Cobb est-il prisonnier de ses rêves à la fin ?
    La toupie peut tourner ou ne pas tourner à l’infini (il faut encore qu’on m’explique pourquoi un rêveur ne pourrait pas la faire tomber dans son rêve pour faire croire à Cobb qu’il est éveillé : ce n’est pas comme les dés qui donnent un résultat que seul le possesseur du totem connait), la scène avec les enfants est la même que pendant les flashbacks (même s’ils sont plus âgés et habillés différemment), les règles du piratage du rêve ne sont pas du tout respectées à la fin, etc.
    Et alors ? Ma théorie est simple : on s’en fout. Ça ne change rien. Cobb va bien finir par revenir dans la pièce, il verra si la toupie tourne, tant mieux pour lui mais, moi, ça fait longtemps que ça ne m’intéresse plus.

    Autre question-qui-tue qui va avec : est-ce que Inception est, du début à la fin, un rêve ?
    Faux raccords, traitement identique de l’action dans le rêve et la réalité, allusions de Mall à la paranoïa de Cobb, etc.
    C’est le fameux problème du moment dickien dont parle ma critique : le monde réel fonctionne comme le monde du rêve, à base de fusillades. Paradoxalement, les murs qui se resserrent désamorcent complètement ce brouillage : on se dit « ok, si ça se trouve ce n’est qu’un rêve » et, du coup, le film perd ce qui lui restait de force. Les enjeux deviennent inexistants puisque fantasmés et, dès lors qu’il n’y a plus de réalité, donc plus de possibilité de douter de ce qui est vrai ou ne l’est pas, le vertige devient d’autant plus impossible à ressentir…
    Certes, cela permet de justifier les incohérences du scénario, les références grossières (Ariane, Edith Piaf) mais c’est foncièrement malhonnête. « Ta gueule, c’est magique », devient la réponse à tout. Cobb, double de Nolan, est le réalisateur de ses propres fantasmes, un bloubiboulga de films mal digérés, une collection de références vaines qui n’arrivent pas à la cheville des films qu’elles pompent allègrement : Cobb, cinéphile médiocre, a aimé la trilogie Jason Bourne, La Môme, James Bond, les films de Gondry, etc., et nous les ressert en moins bien faute d’imagination.
    Cela permet aussi de justifier la vraisemblance des rêves : de peur que le spectateur ne se rende compte trop vite du fait que Inception est un rêve, on nous impose une règle purement arbitraire sur la vraisemblance. C’est encore pire de ce point de vue que si le film oscille entre rêve et réalité. La justification interne déjà foireuse (les rêves doivent être vraisemblables pour tromper le rêveur) est encore plus réduite à une justification externe (le film doit être vraisemblables pour tromper le spectateur). C’est une esthétique de cul-de-jatte : Nolan, pour faire vrai, s’ampute lui-même de la liberté de créer parce qu’il a la trouille de se donner les moyens de faire vraiment un film sur les rêves.
    Et c’était loin d’être impossible : c’est de la SF non ? À partir du moment ou le spectateur a accepté qu’une sorte de playstation puisse nous permettre de pénétrer dans les rêves d’autrui, il est prêt à accepter un paquet d’autres trucs bizarres (Total Recall, effectivement) – en fait, Nolan a choisi de mettre le moins de SF possible dans son film, parce qu’il voulait faire “son fantasme de réalisateur hollywoodien”, comme le dit Léo : un film d’action, point barre. Autre possibilité que Nolan s’interdit : la folie de Cobb. Il y avait moyen de faire halluciner Cobb dans la « réalité », d’ajouter de l’étrangeté à ce film bien trop sage. Mais non.

    En fait, ça ne change rien non plus. De toutes façons, à moins de penser que la conception glauque du couple de Nolan est un super sujet, on se fiche éperdument de ce qui arrive à Cobb, rêve ou réalité.

    Inception est bien un film sur la façon dont Nolan pense que les films fonctionnent : que ce soit dans un rêve, dans la réalité ou en regardant un film, la catharsis est la même, les larmes sont bien réelles, nous dit-il. Outre que son film n’émeut pas, outre qu’on se doutait sans lui, et depuis un certain temps déjà, que les films sont des fictions, Nolan méprise ainsi le réel, comme le dit Léo, et le rêve.
    Nous nous contenterons de mépriser son cinéma.

  8. La fin du Prestige était aussi un gros discours pompeux sur la création (et une bouleversante mise en abyme sur la condition de l’être-Nolan).

  9. Aucune de ces critiques ne manque de pertinence, c’est scandaleusement bien ficelé et nul doute que Nono aurait été forcé d’admettre certaines des facilités auxquelles il s’est laissé allé.
    Mais tout ça me rappelle mes cours de littérature en terminale, quand mes profs isolaient chaque syllabe de chaque mot de chaque vers des sublimes poèmes des fleurs du mal ou d’Alcools. On retrouve ici l’approche charcutière : isoler le maigre, vider les organes et couper le gras autour.
    Désolé mais pour moi c’est pas de la critique, c’est juste de la boucherie.

    un cinéphile

  10. Ce que tu sembles oublier c’est que, Les fleurs du mal ou Alcools sont effectivement sublimes : dès lors, la critique en détail, l’analyse de ce qui les fait fonctionner, de ce qui les rend si puissants ne peut que renforcer ce sentiment, permet de montrer que dans l’infime d’une rime isolée se trouve déjà la beauté. Et, il y a ce moment de la critique ou, justement, celle-ci échoue à définir ce qui les rend encore plus beaux, plus puissants, un moment ou leur caractère sublime échappe au commentaire.
    Inception, en revanche, est un mauvais film : dès lors, la critique décortique ce qui l’empêche de marcher, ce qui le rend médiocre, inepte. Et la magie encore : malgré le soin mis à analyser le film, malgré l’examen attentif des thèmes, de leur mise en forme, malgré le sens du détail, la critique s’épuise là aussi, comme pour un chef d’œuvre, et l’inanité de l’ensemble ne peut que rester supérieur à l’analyse de ses parties.
    Bref, une grande œuvre ne perd jamais à être critiquée, il est normal qu’une mauvaise œuvre n’y gagne rien.
    Mais admettons que l’approche charcutière soit mauvaise en soi. Il aurait fallu dès lors considérer l’animal Inception comme un tout pour en parler de manière pertinente… On se demande ce que ça aurait changé quant au fond : le propos aurait-il été transformé, le film en serait-il devenu meilleur ? Mais, soit, voici la critique globale de l’œuvre de Nolan :

    Inception est un pseudo film de science-fiction sans imagination qui aligne pendant des plombes les clichés les plus éculés du cinéma d’action à grand-spectacle hollywoodien, réussissant l’exploit d’être toujours en deçà des films dont il s’inspire. Plutôt du moyen spectacle, donc.
    On dirait « Mission Impossible 32 dans ta tête », on s’ennuie pas mal, c’est visuellement quelconque (vous aurez tout vu en vous contentant de la bande-annonce et des affiches), les enjeux sont ridicules, les personnages sans intérêt.
    À la fin, tout n’est qu’un rêve, ou pas, on s’en fiche et Nolan aussi parce que, pour lui, les rêves, c’est un enchaînement de poncifs « réalistes » déjà vu mille fois ailleurs.
    On cherchera en vain une occasion de ressentir un vertige, un trouble, une émotion : produit de la tendance maniaque au contrôle du réalisateur/scénariste/producteur, Inception passe à côté de son sujet, le rêve et est aussi excitant qu’un samedi matin à faire la queue à la sécu.
    N’y allez pas.

    Voilà. Peut-être qu’après tout, la viande avariée, ça ne mérite pas qu’on la désosse, peut-être que ça ne mérite qu’un aller simple pour la poubelle.

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